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Dans l'ombre des Lumières

Titel: Dans l'ombre des Lumières
Autoren: Laurent Dingli
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Comme chaque année, les maisons étaient ornées et les vaisseaux de la rade richement pavoisés en l’honneur de la Vierge. Le spectacle était à la fois émouvant et divertissant ; le visiteur en avait même oublié les cahots de la voiture, la poussière des grands chemins et les propos convenus de diligence. Deux jours plus tôt, il s’était embarqué à l’hôtel des Messageries, rue Notre-Dame-des-Victoires, et avait quitté la chaleur suffocante de Paris pour atteindre, à grandes étapes, les côtes du Finistère. Ce n’était pas un voyage d’agrément, mais d’études que le jeune chirurgien philanthrope s’était lui-même imposé afin de parfaire son apprentissage.
    Les festivités rituelles achevées, et après une nuit de sommeil interrompue par les vociférations du crieur public, André de Saint-Gilles avait cru s’éveiller au cœur de l’hiver. Le temps s’était assombri et tournait à l’orage. Le voyageur commença par pester contre la pluie, mais le vent du large qui s’engouffrait par le goulet et purifiait l’air, lui rappela, avec bonheur, qu’il avait quitté l’atmosphère fétide de la capitale. Il alla récupérer son passeport, retenu par l’officier de garde, à l’entrée des remparts, et fit quelques pas afin d’observer les devantures de la rue Royale.
    Le vent faiblissait, le fracas s’estompait, une pluie fine mais drue ruisselait sur le pavé. La grisaille légèrement laiteuse enveloppait déjà la ville et le port de Brest de sa robe diaphane. Telle une aiguille trempée dans la suie, le clocher de l’église Saint-Louis émergeait de la brume montante et tiède dont les vapeurs paraissaient s’agripper aux façades. Le silence matinal, le spectacle des rues désertes, la pierre humide du château, le granit suintant des maisons basses, tout exprimait un sentiment oppressant de tristesse, d’ennui et de désespoir.
    Après une rapide promenade sur le cours Dajot, Saint-Gilles jeta un coup d’œil à sa montre, puis se dirigea d’un pas alerte vers l’hôpital de Clermont-Tonnerre. Devant la porte d’entrée, il eut le réflexe de se redresser afin de se donner un peu de contenance. Depuis quelques années déjà, le jeune praticien tentait vainement de se vieillir. Il cultivait à dessein une moustache encadrée de longs favoris blonds et bouclés, qui lui habillaient en frisottant le bas de la mâchoire. Mais, en dépit de sa longue redingote anthracite, il conservait une délicatesse, une candeur et une maladresse proprement juvéniles. Sa cravate à jabot, toujours impeccable, lui enserrait tellement la gorge et remontait si haut vers le bas du menton, qu’il paraissait suffoquer. Cet engoncement était pourtant l’une des rares concessions qu’il accordait encore à la mode.
    Un concierge le fit pénétrer dans l’enceinte et lui demanda de bien vouloir attendre la venue du médecin chef. André ne répondit pas, déposa sa canne, ôta ses gants et son chapeau, qu’il secoua délicatement, puis vint s’asseoir sur un siège à mailles d’osier. Ses grands yeux bleus, surmontés de sourcils fins, arpentaient avidement les lieux. L’attente ne fut pas longue. Au bout de quelques minutes, il vit apparaître un homme d’une trentaine d’années, dont la moustache gaillarde et le regard sémillant le mirent à son aise.
    — Monsieur de Saint-Gilles ? Major Raynaud. Soyez le bienvenu. Je suis ravi de vous rencontrer. Avez-vous fait bon voyage ?
    — Fort bien, je vous remercie. Comme j’ai eu l’honneur de vous l’écrire, ma visite à Brest s’est décidée au dernier moment. Il m’a fallu soudoyer le cocher pour obtenir une place à l’intérieur de la diligence. Enfin, la route a été bonne…
    Saint-Gilles s’interrompit quelques secondes puis reprit avec ferveur :
    — Pour ne rien vous cacher, je brûle de visiter l’hôpital en votre compagnie. Il y a tant de projets et d’expériences dont je souhaiterais vous entretenir…
    — Malheureusement, je ne pourrai pas vous accompagner, répondit le médecin-chef avec gêne ; je dois effectuer une visite urgente à la cayenne, la caserne des matelots. Le service est prioritaire, vous le savez…
    Raynaud, qui avait mesuré d’un coup d’œil la déception de son interlocuteur, enchaîna sur un ton moins militaire.
    — Mon cher confrère, je comprends votre désappointement. Mais ne vous inquiétez pas, j’ai tout prévu. M. Argenson, chirurgien de troisième
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