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Dans l'ombre des Lumières

Titel: Dans l'ombre des Lumières
Autoren: Laurent Dingli
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qu’avec Loisel, le jeu avait duré plus longtemps. Cet être-là n’en finissait pas de se convulser. Mais, à la fin, il ne s’était même plus accroché à la vie ; il avait fallu l’aider un peu, se démasquer soi-même, pour pimenter la mise à mort, comme le toréador lorsqu’il tisonne cruellement l’échine du taureau avant d’asséner le coup de grâce. Cela aussi avait été plaisant, le temps d’un éclair. Il avait connu le même plaisir lorsqu’il avait fait jeter Amélie à La Force avant de l’en libérer, et de la rattraper… plus tard. Être comme Dieu, décider du moment où l’on va casser le jouet que l’on a créé. Et c’était ainsi peut-être qu’il avait regardé Antoine, comme un jouet cassé, un pantin désarticulé. Les enfants pleurent lorsqu’ils brisent leurs jouets, mais lui ne pleurait pas. Pourquoi pleurer ? Puisque ces objets étaient maintenant inutiles. Il fallait en trouver d’autres. Il avait essayé. Après la mort d’Antoine, le jeu avait perdu un moment de sa saveur. Il ignorait pourquoi. Il ne se posait pas ce genre de questions. À quoi bon savoir ? Qu’est-ce que cela pouvait bien changer ?
     
    Il descendit du carrosse aidé par un domestique, bientôt suivi de sa nièce. Comme ce vieil invalide, qui venait faire l’aumône, suscitait lui-même la compassion ! Les bons bourgeois, qui préféraient la charité à la justice, se pâmaient devant tant de bonté. Ils considéraient d’un œil attendri et d’un cœur rasséréné ce noble vieillard qui semblait ramper jusqu’aux gueux. Voisard alla de pauvres en pauvres, distribuant ses oboles et quelques bonnes paroles, avec, sur le visage, l’expression à la fois humble et majestueuse du roi touchant les scrofuleux.

10
    Épilogue
    Brest, Hôtel de la Marine, le 17 août 1825

I
    André de Saint-Gilles resta vissé sur son siège, à la fois incrédule et accablé. Il y avait dans cette histoire quelque chose qu’il ne comprenait pas. Elle avait remué jusqu’aux fondements de ses croyances. Un si long récit le laissait dans l’attente et bien trop d’interrogations demeuraient sans réponse.
    En face de lui, le commissaire Cazenave s’était interrompu pour tirer quelques bouffées de son cigare. Il semblait réfléchir, les yeux en l’air, auscultant un coin du plafond. Il ne reprenait pas le fil, laissant Saint-Gilles dans le silence, comme si tout était fini, comme si rien n’avait eu de sens. Et le salut, la rédemption, la justice, le bien et le mal… Le jeune philanthrope avait l’impression d’être un voyageur que l’on abandonne au bord du chemin. Mais quel était le but du voyage ? Il n’en pouvait plus, il devait savoir.
    — Dites-moi donc, commissaire, comment l’a-t-on arrêté ?
    — Qui cela ?
    — Eh bien ce monstre, Voisard.
    Cazenave sortit subitement de sa torpeur.
    — Ah, oui, pardonnez-moi, je réfléchissais… Un jour où Voisard fit l’aumône aux gueux de Paris, il fut reconnu par l’ancien bagnard René Chappaz, l’homme qui s’était évadé avec lui de Toulon et que l’imposteur avait livré aux gendarmes. Fidèle à sa promesse, Antoine Loisel avait obtenu une importante remise de peine en faveur de Chappaz. Ce dernier reconnut donc Voisard dans la personne du comte de Saint-Amant. Il alla tout révéler à l’hôtel de police. On commença par lui rire au nez. Pensez donc ! Un gueux comme lui venant dénoncer un aristocrate ! Mais un policier moins méprisant, et sans doute plus scrupuleux que les autres, se pencha attentivement sur la question. D’autres circonstances contribuèrent à précipiter la chute de Voisard. L’intervention du marquis de Morlanges fut décisive. Il avait encore à l’esprit tous les soupçons que son beau-frère lui avait confiés avant de mourir. Voisard avait maquillé le meurtre d’Antoine en suicide. Morlanges ne put croire un instant à cette fable. Il alla dévoiler tout ce qu’il savait au commissaire qui surveillait déjà de près le comte de Saint-Amant. Ce policier réunit patiemment toutes les preuves susceptibles de le confondre, relisant les minutes du procès de 1805, interrogeant discrètement des témoins, poussant ses investigations jusqu’à Madrid et Londres. Il voulait que l’accusation fût sans faille. Or il manquait l’essentiel, une pièce à conviction. En perquisitionnant dans l’hôtel particulier du comte de Saint-Amant, on la trouva enfin, sous la forme d’une
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