Délivrez-nous du mal
son manger et remettre du fourrage huileux dans l’encoignure où l’enfant faisait ses besoins.
Hors lui, Perrot était tenu à la plus stricte solitude.
Et pourtant, presque continuellement, il ressentait ces accès physiques, ces frissons qui l’assaillaient dès lors que son don de guérisseur était sollicité. Bien qu’aucune activité ne fût perceptible autour de lui, il acquit la conviction d’être observé ; il eut beau sonder les murs, il ne put nulle part déceler un trou ou une faille d’où il aurait pu être épié.
Le douzième jour, la porte s’ouvrit et, cette fois, ce fut Até qui apparut.
Ses longs cheveux étaient relevés et couverts d’un voile flottant, son visage soigné, les yeux fardés de khôl, la peau poudrée au blanc de Saturne et les lèvres soulignées de rouge ; elle portait une robe plissée d’un seul tenant, couleur sable, ceinturée par une cordelette de cuir au bout de laquelle tintaient deux boules d’argent.
Ils quittèrent ensemble le quartier des cachots pour suivre un promenoir recouvert de pavés blancs et planté d’ifs argentés. Le jour aveugla Perrot ; le ciel était bleu pâle, sans nuages. Le chemin déboucha sur un cloître encadré d’un préau-galerie où déambulaient une dizaine de moines. Le cœur du jardin était bordé de haies de buis au centre desquelles trônait une fontaine jaillissante.
Après avoir gravi un escalier en hélice, l’enfant se retrouva dans une salle. Un pan de mur était occupé par un gigantesque vitrail donnant sur les jardins ; vitrail au verre pur, sans pigment coloré, retraçant les principaux chapitres de la Passion.
Un abbé frêle et osseux attendait derrière un bureau. Il se leva à l’arrivée de l’enfant et de la femme et fit un signe de tête respectueux à l’égard d’Até.
— J’ai reçu un message de votre père, dit-il. Monseigneur de Broca est en route. Il sera parmi nous d’ici trois jours.
Até approuva.
L’abbé s’adressa à Perrot.
— Je suis le père Domenico Profuturus.
— Je m’appelle Perrot, fit le garçon d’une voix timide.
L’abbé sourit.
— Je sais qui tu es.
Il saisit une feuille de parchemin posée sur son bureau et la parcourut à haute voix, s’adressant surtout à Até de Brayac.
— En quelques jours ici, ce garçon a guéri deux lépreux, une pestiférée, un enflammé de Saint-Antoine. Il a interrompu une hémorragie, rendu l’esprit à deux déments, libéré les abcès de poitrine d’un vieillard et rééquilibré les humeurs de trois de mes moines.
Até blêmit.
— Avez-vous déjà rencontré un tel phénomène ? demanda-t-elle.
L’abbé secoua la tête.
— Jamais ! Pas même dans les écrits du passé !
Mais Perrot protesta :
— Je n’ai rien fait de ce que vous dites, mon père ! Je vous l’assure… Si cela est arrivé, c’est en dépit de moi.
Il se tourna vers Até d’un air désespéré :
— Dites-le-lui, madame, vous le savez bien, vous, que je n’y suis pour rien !
Mais la femme se tut. Elle était de plus en plus impressionnée par son petit prisonnier.
Profuturus hocha la tête avant de reprendre l’examen de son parchemin :
— Nous avions positionné plusieurs malades derrière une paroi de la cellule de Perrot. Dès les premiers signes d’amélioration de leur santé, nous les avons peu à peu éloignés, cela afin d’établir, par l’expérience, le « rayon de manifestation » de ses pouvoirs de guérison. Nous sommes parvenus à la conclusion qu’il couvrait plus de deux cents pieds à la ronde !
Il regarda l’enfant :
— Nous avons aussi fait la preuve que ton don agissait lorsque tu dormais.
Profuturus jubilait :
— C’est tout à fait extraordinaire : d’habitude les miracles sont circonscrits à un lieu ou à un moment précis. Perrot, en revanche, est une sorte de prodige permanent et immédiat !
Até s’inquiéta :
— Qu’allez-vous faire de lui ?
— Nous allons œuvrer pour mettre ses pouvoirs à l’épreuve, cerner ceux qu’il pourra un jour pleinement maîtriser. Son sentiment de n’y être « pour rien » est normal. Au même âge, les thaumaturges du passé, comme nos grandes figures de saints, ont eux aussi été des enfants effrayés de leurs aptitudes extraordinaires. Des personnages aussi prestigieux qu’Asclépios, Apollonios de Tyane, Mithra, Honi le Traceur de cercles, Attis et Adonis, Théophile l’Indien, ont redouté cette
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