Délivrez-nous du mal
coula plus à travers les mailles et demeura entre les mains de la nonne. Un malheureux atteint de scrofule passa à ce moment, elle l’invita à venir se désaltérer et le malade, sitôt ses lèvres trempées, retrouva la santé et un visage débarrassé de ses fistules. Ce miracle fut célébré par tout Laon et établissait, par preuve divine, l’innocence de la nonne.
Tout autre que Bénédict Gui n’aurait vu dans ces trois exemples qu’un intérêt pour les prodiges et les histoires surnaturelles. Seulement Gui savait que ces trois miracles n’étaient pas anodins et que, peu après leur divulgation, des protestations avaient contesté leur bien-fondé. À Gennano, le miracle permettait opportunément de racheter la confiance de fidèles qui se tournaient vers l’empereur. Les traces d’un simulacre de l’apparition de la Vierge (engin émettant de la fumée, tranchées pratiquées à mains d’homme…) furent découvertes. À Più, le moine qui avait libéré la source de son diable était un augustin perclus de dettes de jeu qui se serait servi des dons qu’il perçut après le miracle pour rembourser ses créanciers. Quant à la nonne de Laon, accusée d’avoir partagé le lit d’un seigneur, elle était la petite-fille d’un puissant prélat de Rome. Le crible et le mendiant miraculeux ne furent jamais retrouvés…
« Pourquoi Rainerio s’intéressait-il à de faux miracles ? »
Bénédict Gui ne tarda pas à deviner le cheminement de pensée du jeune homme :
« Rainerio sait que des enfants miraculeux sont enlevés par des hommes du Latran. Pourquoi ? » La réponse se tenait sous ses yeux : « Les simulacres de l’Église ! Rainerio devait savoir que de tout temps l’Église a orchestré, comme à Gennano, de faux prodiges, des mises en scène spectaculaires aux fins d’édifier les populations.
« Tous les moyens étaient bons pour gagner des partisans. En se servant d’enfants dotés de pouvoirs miraculeux, toutes les manipulations à grande échelle devenaient possibles ! L’Église détiendrait avec eux de formidables outils. Des adultes se refuseraient de se prêter à ces mensonges, mais des enfants… ? » Bénédict frissonna devant cette menace. Convaincu que le pauvre Rainerio, avant lui, avait ressenti la même angoisse…
Au dos d’un feuillet listant les livres empruntés par Rainerio, Bénédict Gui fixa par écrit les thèses qui venaient de naître dans son esprit.
Il prit soin de laisser ces mots dans le boîtier de sœur Constanza.
« S’il m’arrivait de disparaître, ces pistes ne seraient pas perdues pour tout le monde. »
Il agissait toujours de la sorte lorsque ses enquêtes se prolongeaient ou devenaient trop complexes, semant des indices de son passage.
« Il est regrettable que Rainerio n’ait pas songé à en faire autant. »
Bénédict remit la boîte à Constanza qui lui promit d’aller la cacher dans la bibliothèque, au dos des œuvres de saint Benoît d’Aniane d’où elle ne les déplacerait plus.
Le lendemain matin, le frère convers de la Maison des enregistrements vint trouver Bénédict à son auberge :
— Votre dossier a été accepté, s’exclama-t-il. Vous êtes attendu au Latran où vous devrez soumettre sans tarder vos arguments à l’archevêque Moccha, l’un des plus prestigieux Promoteurs de la Cause. Toutes mes félicitations ! Je n’ai jamais vu de supplique aboutir si rapidement à une convocation.
Il lui remit un sauf-conduit pour Rome et le Latran, mais aussi les conclusions préliminaires de l’abbaye de Pozzo, et lui rendit les divers documents apportés de Spalatro ainsi que la fiole de sang.
« Moccha. Un Promoteur de la Cause ? À la Sacrée Congrégation, il est l’homme qui s’oppose au Promoteur de Justice. »
Bénédict Gui se dit qu’il avait « fumé le renard » au-delà de ses espérances…
Il prit la route pour Rome.
C HAPITRE 0 4
Depuis dix jours, Perrot était cloîtré dans une cellule dont le périmètre ne dépassait pas six pieds de côté. Le sol était froid et humide, sans la moindre brassée de paille ; privé de soupirail, avec pour seule lueur les reflets d’une torche qui passaient à travers les claires-voies de la porte. L’enfant ne pouvait plus différencier le jour de la nuit. Tout se taisait, les geôles voisines devaient être inoccupées.
Seul un moine emmailloté dans une bure blanche venait deux fois le jour lui servir son boire et
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