Délivrez-nous du mal
rendez-vous ? avait demandé ce dernier.
— Ancône.
L’aubergiste lui fournit un cheval de selle à crins lavés. Aba n’avait pas aperçu les montures de la bande de ravisseurs à Cantimpré, mais il estima que celle-ci avait fière allure et correspondait aux descriptions enthousiastes des habitants de Disard.
Cela lui en coûta trente deniers et deux paires de fers. Il se munit aussi de la liste des relais et des étapes qui ponctueraient sa route jusqu’à Ancône.
Il prit la direction de Griffignano, puis continua droit vers l’Ombrie et les Marches, les principales provinces des États pontificaux.
Bien qu’attentif aux réactions des gens à son déguisement de mercenaire, il n’aperçut jamais le jeune Job Carpiquet lancé à ses trousses par Althoras depuis Mollecravel.
Ce poursuivant habile et tenace, rompu à la dissimulation, avait emboîté le pas du pèlerinage des Français à Olargues ; il ne s’était pas laissé tromper par le changement de silhouette d’Aba à la sortie de Viterbe et ne l’avait pas quitté d’un jour ; à chaque étape, il expédiait un mot vers Althoras, pour lui signaler sa position.
Traqué sans en avoir connaissance, pensant s’approcher du dénouement de sa quête, le père Aba atteignit Ancône six jours plus tard…
C HAPITRE 0 3
Bénédict Gui alla se réfugier dans l’abbaye de Pozzo, derrière la boulangerie et le moulin, afin de compulser, à l’abri des regards, les documents contenus dans la grosse boîte de sœur Constanza.
La concubine du vieux frère Hauser avait excellemment fait les choses : ce boîtier de bois planté de petites têtes-de-clou, recélait divers indices essentiels pour l’enquête menée par Bénédict sur la disparition de Rainerio.
En premier lieu, il y lut, grâce au calendrier des entrées de l’abbaye, le nombre de fois où le jeune homme s’était présenté à Pozzo au cours des deux dernières années : dix-neuf.
La fréquence avait augmenté l’automne dernier où l’assistant d’Henrik Rasmussen fit le voyage depuis Rome toutes les semaines.
Bénédict examina la liste de la bibliothèque où étaient notés les ouvrages compulsés par Rainerio. La date, mais aussi l’heure d’emprunt et de restitution des volumes, y étaient mentionnées : le garçon ne conservait jamais les documents plus de quelques heures.
Chaque lecture correspondait à un jour isolé.
Constanza avait spécifié qu’aucun livre ou document de Pozzo ne pouvait être extrait de l’enceinte de l’abbaye : Rainerio venait donc le matin, effectuait ses recherches, et rejoignait Rome le soir.
Voilà qui avait le mérite de corroborer le témoignage de la jeune Zapetta, qui avait affirmé que son frère ne s’absentait jamais.
La lecture du détail des ouvrages lus par Rainerio à Pozzo fut une avancée considérable pour Bénédict Gui : il s’attendait à trouver des emprunts liés à la jeunesse des saints ou à des suppliques concernant des enfants miraculeux. Il pensait que Rainerio devait être affecté par sa découverte des enlèvements inexpliqués d’enfants, telle que racontée par Hauser.
Pas du tout.
Lors de la dernière Saint-Martin, Rainerio était venu étudier le cas du village de Gennano , où une Vierge était apparue deux ans auparavant pour désigner aux habitants un lieu où ils trouvèrent un trésor. Trésor fabuleux qui servit à restaurer la vieille église avec faste.
À la Saint-Ludovic, ce fut le cas de la source de Più qui occupa Rainerio ; un plan d’eau y était hanté par un démon qui se matérialisait aux yeux des voyageurs sous la forme d’une coupe en or flottant à la surface. Ceux qui l’apercevaient se précipitaient pour s’emparer de l’objet précieux mais, au moment où leurs doigts effleuraient la coupe, celle-ci se métamorphosait en une patte velue qui les agrippait violemment et les tirait tout entiers au fond de l’eau. La légende narrait que, six ans plus tôt, un moine avait résisté au prestige de cette main démoniaque, arraché le monstre hors de la source et l’avait tué en brandissant une croix devant lui.
Rainerio s’attarda à la Saint-Nicolas sur l’affaire du miracle de Laon. Ce prodige impliquait une jeune nonne accusée du péché de chair avec un seigneur et promise au bûcher. La veille de son exécution, la femme prit un crible et le passa sous l’eau d’une fontaine du couvent pour le nettoyer. Mais, par extraordinaire, l’eau ne
Weitere Kostenlose Bücher