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Délivrez-nous du mal

Délivrez-nous du mal

Titel: Délivrez-nous du mal Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Romain Sardou
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ville où Paul endura son martyre ; aussi les pénitents résolurent-ils de boire, de manger et de se prélasser autant que possible avant d’y poser le pied ; ils faisaient halte dans des châteaux majestueux, descendaient les voies d’eau sur de riches embarcations. Les femmes aristocrates ne faisaient pas secret de leurs appétits charnels ; chaque soir, le pèlerinage devenait le théâtre de débauches. Des évêques venus bénir les pénitents trouvèrent la comtesse et les deux baronnes à moitié nues, ivres et en compagnie d’hommes de basse extraction. Elles arguaient, avec une conviction désarmante, que leurs péchés actuels seraient rachetés grâce à la stricte abstinence qu’elles s’infligeraient dès leur arrivée à Rome.
    Le père Aba observait sans façons les inconséquences de ses nouveaux compagnons de voyage. Il s’efforçait de satisfaire au désir de converser du jeune duc qui, sortant en sueur d’une maison de ribaudes, n’aimait rien tant que de philosopher.
    Aba, qui dissimulait son identité de prêtre – il avait démonté l’arbalète volée à Mollecravel pour ne pas attirer l’attention et enfoui la courte épée de Cantimpré dans un sac de toile oblong où il tenait ses affaires –, ébahissait les pénitents par sa connaissance de la Sainte Lettre et des finesses de la liturgie romaine. Bien qu’on eût aimé qu’il banquette comme tout le monde, on respecta son silence et son besoin de solitude.
    Aba se dit que, décidément, depuis son départ de Cantimpré, il ne cessait de « changer de peau » : prêtre austère, père blessé, faux pèlerin, brigand auprès des Toulousains, aujourd’hui compagnon de débauchées mystiques. Mais pour retrouver son fils, il savait qu’au besoin il se ferait rameur de galée, contempteur du Christ, mazelier, assassin sur gages ou sectateur mahométan.
    Le convoi voué aux trajets de saint Paul n’allait jamais à la cadence souhaitée par Aba – qui grillait d’atteindre les États pontificaux et le monastère d’Albert-le-Grand ; néanmoins un bateau affrété au port Saint-Louis, des attelages dispos à chaque étape, des passages simplifiés aux péages et une lance de soldats qui les protégeaient des brigands le convainquirent qu’il n’aurait jamais fait si bien par ses propres moyens.
    Après trois semaines de voyage, le convoi atteignit en Italie la cité de Viterbe, ville riche du Latium, résidence de repli pour les pontifes menacés par le peuple de Rome.
    Viterbe était la dernière étape des pèlerins avant d’atteindre la Ville éternelle ; les Français, qui n’étaient plus qu’à quelques heures de leur grand bond dans l’ascétisme, vivaient leurs ultimes instants de réjouissance. Suite à une rapide consultation, il fut résolu de prolonger d’une lunaison leur établissement à Viterbe.
    C’est alors que le père Aba considéra que son temps parmi eux touchait à sa fin. Il s’éclipsa discrètement, sans même saluer le duc qui lui avait si bien facilité la route.
    Il se fit conduire dans une chambre à l’étage de la grande auberge du Paraclet, rue de la Foulerie.
    Une fois seul, il déposa ses affaires près du lit et remboîta les pièces de l’arbalète. Peu après, il sortit les vêtements noirs du mercenaire qu’il avait emportés sur le cheval de Leto Pomponio au château de Mollecravel. Il découvrit dans une poche du pourpoint une étrange pièce de bois octogonale recouverte de cuir, portant le chiffre 1611 et une croix comprise dans un cercle sur l’une de ses faces. Il la mit de côté.
    Il se dévêtit de sa tenue de pèlerin et s’habilla avec les habits de l’homme en noir. Il ne possédait pas la carrure du soldat, aussi, avec du fil et une aiguille, réajusta-t-il la largeur des épaules, la longueur des manches et des chausses, puis il reprisa l’ouverture pratiquée à l’estomac par le coup d’épée de Pomponio.
    Le père Aba resta un moment immobile, habillé de pied en cap comme l’un des tueurs de Cantimpré.
    Il saisit l’épée qui avait servi à assassiner Maurin et la glissa sur l’anneau du baudrier.
    Il releva la capuche et se la rabattit autour du visage.
    Cet accoutrement de meurtrier l’oppressait, un goût âcre lui venait à la bouche, ses mâchoires se contractaient…
    Il haïssait cette apparence.
    Mais il était prêt.
    Pour quitter Viterbe, il paya le louage d’un solide cheval auprès de son aubergiste.
    — Où vous

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