Délivrez-nous du mal
tôt ou tard et son laissez-passer inattendu alerterait les autorités en place. Il n’avait qu’une chose à faire : quitter au plus vite cet accoutrement de mercenaire.
Les hommes en noir pénétrèrent dans un bâtiment qui abritait leurs quartiers privatifs. Par une croisée, le père Aba découvrit une armurerie et plus d’une vingtaine d’autres mercenaires qui avaient ravalé leurs capuchons noirs. Ils avaient les cheveux coupés au ras et des barbes parfaitement taillées, le visage propre ; rien de ce que l’on attend de reîtres.
Aba bifurqua et pénétra quelques pas plus loin dans un lieu différent, vaste et lumineux : l’herboristerie du monastère.
Trois moines étaient en train d’y étudier de longs alignements de bacs d’herbes, d’épices et de massifs de fleurs éclairés par une verrière zénithale. Aba fut surpris par la chaleur et les arômes qui régnaient dans ce lieu, mais aussi par la diversité et l’étrangeté des plantes qui s’étendaient sous ses yeux. Il était certain de n’avoir jamais vu ni entendu décrire beaucoup des espèces cultivées sous cette serre.
Les trois moines herboristes le regardèrent, étonnés par sa subite intrusion.
Le père Aba aperçut une porte de verre de l’autre côté du grand local. Il salua mécaniquement les moines et s’y rendit d’un bon pas.
Le passage donnait sur un des cloîtres de la forteresse.
Ici, pas de gardes ni d’hommes en noir. Le jardin était désert, d’un calme souverain. Seul le bruit de la fontaine troublait le silence.
Sur sa droite, Aba repéra un novice muni d’un balai et d’un seau qui lavait le pavement de la galerie couverte.
Aba ouvrit une petite porte au hasard et vit qu’il s’agissait d’une resserre à bois de corde où une étuve servait à sécher les rondins et les fagots.
Il observa une dernière fois en tous sens puis se rua sur le novice. Il plaqua une main contre sa bouche, l’étrangla de l’autre, et l’entraîna dans la remise. Là, il l’assomma d’un coup de pommeau d’épée, avant d’emprunter ses vêtements. Il lui noua un morceau de sa chainse déchirée autour de la bouche, lui lia les mains avec la cordelette d’un fagot avant de le basculer derrière une pile de bois. Il cacha son arme. Ensuite, il récupéra ses habits d’homme en noir et les mit à brûler dans le foyer qui alimentait l’étuve.
Il ressortit sous l’apparence du novice et se saisit du seau et du balai.
Soudain il se figea ; un détail, jusque-là évacué, le terrassa.
Son œil.
Ce sinistre ruban de tissu noir qui lui barrait le visage.
Qui ne le remarquerait pas ? Il n’eut pour toute ressource que de relever la capuche de la coule et de la rabattre sur son visage.
Il commença son inspection des cloîtres et des galeries, sachant que ce nouveau travestissement, lui non plus, ne ferait pas long feu.
« Retrouver Perrot. »
À mesure que les vastes espaces du monastère se découvraient à lui, l’objectif lui paraissait de plus en plus inatteignable.
Il remarqua toutefois que personne ne faisait ouvertement attention à lui, qu’hormis des moines, on ne rencontrait jamais de gardes ou de soldats sous les galeries.
Un sentiment de paix et de sécurité habitait les lieux, comme s’il était établi une fois pour toutes, que rien ni personne ne pourrait faire courir le moindre risque à la communauté.
Cette impression diffuse, au lieu de le rassurer, l’inquiéta.
Et si on l’avait sciemment laissé entrer ?
Il jeta un regard aux nombreuses croisées de verre qui le surplombaient. Des yeux ne suivaient-ils pas le moindre de ses faits et gestes ?
Aba sentit que sa fébrilité de clandestin était en train de lui jouer un mauvais tour ; s’il cédait à la panique, il n’accomplirait rien de valable.
Malgré tout il se ressaisit et reprit son inspection minutieuse.
En longeant les écuries, il découvrit une aile de la forteresse qui l’intrigua particulièrement. Jusque-là, il n’avait rencontré que des moines silencieux. Ici, des laïques s’égaillaient dans les allées et les jardins, et ne se gênaient pas pour parler haut. Tous entraient et sortaient par la haute porte d’un vaste bâtiment.
Une fois encore, le père Aba se choisit une victime appropriée : un homme vêtu d’un froc sécuher de couleur sable, encapuchonné. Aba attendit qu’il s’écartât de ses compagnons et, dès qu’il se fut trouvé dans un corridor voûté, qui
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