Délivrez-nous du mal
père leva un regard mélancolique vers Bénédict.
— J’ai découvert de nombreuses choses sur Rainerio. D’abord il travaille pour un haut responsable de la curie, le cardinal Rasmussen. Il le seconde lors des procès de canonisation qui consacrent les nouveaux saints.
Zapetta sourit en apprenant la fonction prestigieuse de son frère.
— Mais, à cause de ce poste, Rainerio a fait une découverte qui semble l’avoir beaucoup affecté, voire terrifié. Son ami Tomaso et Marteen, un autre auxiliaire du cardinal, m’ont tous deux confirmé que, depuis quelque temps, Rainerio était inquiet.
Zapetta se rembrunit.
— C’est impossible, fit-elle. Rainerio était toujours d’humeur égale. Au contraire, il se réjouissait de pouvoir, sous peu, nous offrir un nouveau toit S’il avait été tourmenté, je l’aurais vu !
Bénédict sourit :
— Il ne souhaitait pas vous inquiéter.
La jeune fille se figea :
— Alors ? Avait-il des raisons de s’effrayer ? A-t-il été enlevé, tué, pour ce qu’il a découvert ?
— Des raisons de craindre pour sa vie, je crois que oui, hélas, il en avait.
Gui s’empressa de prévenir les larmes de Zapetta :
— Mais rien ne dit qu’il a couru de véritable danger, affirma-t-il. Les gardes qui sont venus le chercher chez vous étaient envoyés par son maître et n’avaient aucune raison apparente de lui être hostiles. Rainerio a cependant appris à ce moment-là la mort de Rasmussen. Je suis tenté de penser que Rainerio n’a pas été enlevé : je pense qu’il a fui.
— Fui ?
— Oui. Il a dû comprendre que son maître avait été tué pour la découverte qu’ils avaient faite. Il a pensé être sur la liste des assassins. Il est allé se réfugier !
— Chez qui ?
— Je l’ignore. Mais je sais quel type de trafic il a mis au jour ; aussi, dès que j’aurai posé un nom sur les personnages que Rainerio dérangeait au point de les pousser au meurtre de Rasmussen, je déduirai vers qui il est allé s’abriter pour échapper à leurs représailles.
— Dieu vous aide !
— Zapetta, si j’ai raison, Rainerio a dans l’intention de revenir vous chercher, dès que possible. S’il ne vous a pas fait parvenir de ses nouvelles, c’est seulement qu’il a quitté Rome. Il ne faut pas perdre espoir.
Bénédict Gui assura qu’il s’efforcerait d’agir vite mais qu’il ne projetait pas de s’éterniser dans la ville :
— Mon signalement a dû être transmis par Fauvel de Bazan ; beaucoup de personnes me connaissent ; certaines, des jurisconsultes, des clients éconduits ou des chasseurs de primes, doivent rêver de m’attraper. Prévenez seulement Matthieu que je me porte bien.
Il s’apprêtait à partir.
— Quand nous reverrons-nous ?
— Sitôt que j’aurai du neuf sur Rainerio. D’ici là, restez ici, Salvestro Conti est un ami, il vous hébergera le temps nécessaire.
Le vieux père se leva et, sans un mot, le salua amicalement sur son départ.
Bénédict voulut se rendre sans tarder à la convocation du cardinal Moccha.
Il arriva au palais du Latran.
La bâtisse de bois et de pierre était monumentale, mi-palais, mi-cathédrale, assise en haut d’un escalier de marbre. Comme toujours, qu’il gèle, qu’il vente, qu’il fasse brouillard, qu’il pleuve ou qu’il neige, les marches se couvraient du va-et-vient incessant d’hommes de robe, de prélats affairés, d’ambassades, de délégués apostoliques, de nonces et internonces. Sans omettre le défilé des curieux et la piétaille laïque qui hante les lieux de pouvoir.
L’escalier était défendu par de jeunes soldats de la garde du Latran.
Dès son premier pas sur l’escalier, Bénédict fut interpellé par un soldat qui lui reprocha de porter sa capuche : pour accéder au Latran, même les moines avaient l’obligation de se présenter le front dégagé.
Cet ordre inquiéta Gui ; il savait qu’il entrait dans le domaine de Fauvel de Bazan ; tête nue, il se sentait vulnérable.
Le garde du Latran lui indiqua où présenter sa convocation.
Bénédict se trouva nez à nez avec un jeune diacre juché derrière une console, affectant un air de lassitude, le teint rose et poudré, les mains pommadées. Il visa les documents puis l’informa que Monseigneur Bartholo Moccha n’accordait pas, ces temps-ci-d’audience dans la demeure du pape, et qu’il était à trouver chez lui, via delli Tessitore.
Il ajouta que Moccha faisait
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