Délivrez-nous du mal
sang et aux larmes.
Pasquier prit une fine aiguille au bout des doigts et du fil pincé entre les lèvres.
Augustodunensis s’était muni d’une bible et d’un flacon de chrême, au cas où il devrait administrer les derniers rites.
La vieille Ana vint les rejoindre. Elle avait en toute hâte étudié une carte du ciel et l’heure de l’attaque du prêtre. Le calcul fut vite fait : aujourd’hui Mars redevenait ascendant. C’était le présage d’autres dangers à venir !…
Pasquier releva une peau du cou ensanglantée pour faire pénétrer la pointe de son aiguille d’un coup sec du pouce et de l’index. Il marqua ainsi un deuxième point en faisant glisser son fil, puis un troisième, un quatrième… Ensuite, il observa l’œil et dit :
— Apportez-moi de la cendre…
À l’étage inférieur, les villageois avaient décroché le cadavre du garçon.
Révoltés, tous voulaient parler sans attendre leur tour. On s’interrogeait sur le nombre d’hommes en noir qui avaient assiégé le village : on compta les quatre assaillants du presbytère, mais aussi huit autres cavaliers répartis dans Cantimpré pour barrer le portail de l’église avec un madrier et contenir les femmes enceintes qui n’assistaient pas à l’office.
On s’inquiéta de leurs mises sombres, de leurs capuchons rabattus, de leurs puissants et coûteux coursiers, et de leur cruauté absolue.
L’enfant assassiné se nommait Maurin.
Le garçon enlevé était Perrot.
— Ils ont abandonné l’arme, constata un villageois après qu’on eut descendu le corps de Maurin.
— Ils savent qu’ils ont commis une monstruosité, murmura Aranjuez, le doyen du village. Un soldat ne recouvre pas sa lame lorsqu’elle a trempé dans le sang innocent d’un enfant. Elle lui porterait malheur.
Mais l’un des garçons présents pendant la leçon d’Aba raconta que Maurin, en dépit de sa blessure, refusait de mourir et qu’il s’était agrippé au pommeau. Avant de partir, l’homme en noir, hésitant, n’avait pas voulu reprendre l’épée.
Dégoûté, Aranjuez prit l’arme et la posa près des livres du prêtre.
À l’étage, Pasquier avait couvert l’œil du père Aba avec de la cendre jusqu’à ce que le sang et les fluides ne puissent plus l’imbiber. Le pouls du blessé s’était relevé, mieux frappé, plus régulier. Après quoi le barbier posa une dizaine de ventouses sur le torse du prêtre pour le congestionner.
— Il faut attendre, dit-il lorsqu’il eut terminé. La fièvre va tomber.
Les cinq hommes et la femme s’agenouillèrent devant le lit d’Aba et se mirent à prier.
Dehors les villageois avaient décidé de former un cordon de sécurité autour de Cantimpré ; quatre bergers se postèrent dans les hauteurs afin de prévenir tout retour de la troupe en noir. On décréta aussi devoir allumer un grand feu et des torches tout le long de la nuit afin de ne pas risquer d’être surpris.
Dans la journée, Auguste conduisit prière collective sur prière collective pour la sauvegarde de Guillem Aba. La famille du garçon mort le supplia de célébrer un office funèbre sans tarder. Sourds au règlement de la liturgie, ils ne supportaient plus la vue de ce corps éventré.
On creusa une petite fosse près de l’église. La dépouille du garçon fut lavée, vêtue de lin et étendue les mains jointes sur le ventre. Sa mère glissa à ses côtés un hochet, une balle et sa toupie favorite.
Augustodunensis sentit combien ce drame affectait les paroissiens : depuis six ans, les enfants ne mouraient plus à Cantimpré.
Il les observait, alignés en silence autour de la tombe, les visages durs, la peau hâlée, les cheveux en broussaille. Ces paysans laborieux et tenaces, qui ne laissaient jamais paraître leurs sentiments, avaient l’air perdu.
Le vicaire rappela dans son oraison la soumission nécessaire aux décrets de Dieu, si cruels soient-ils, dans l’attente de la délivrance du Ciel, sachant qu’il n’y avait, en la circonstance, d’autre éloquence que celle qui promet un peu de bien derrière le mal.
Le père de Maurin ensevelit son fils sous la terre amassée au bord de la fosse.
Après la cérémonie, alors que les villageois se dispersaient d’un pas calme et digne, Auguste retourna au presbytère, pensif, et resta seul dans la pièce à vivre.
À l’étage, Ana, la fille du doyen Aranjuez, veillait sur le père Aba.
Pour s’occuper, le vicaire nourrit les trois
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