Délivrez-nous du mal
dénonce ! Rainerio est un menteur. Mise en scène de sa disparition. Bénédict était affligé de coups et de gifles de la part de ses bourreaux, ne pouvant retenir ses paupières de se fermer. Rainerio est un traître.
C HAPITRE 18
L’abbé Profuturus avait fait porter le corps ressuscité d’Aba dans une cellule en haut du monastère, secrète, avec ordre de ne jamais le séparer du petit Perrot.
— Il ne faut pas courir le risque que le pouvoir guérisseur de l’enfant diminue avec l’éloignement.
Rien des variations de la santé d’Aba n’échappait à l’abbé. Il requérait beaucoup de soins. L’homme était faible, la peau terne, la respiration difficile, éveillé, mais sans aucune conscience particulière.
Profuturus compulsait avec frénésie sa bibliothèque consacrée aux récits de résurrection où il avait mis en évidence que, hormis lorsque le miracle était exécuté par un messie tel que Jésus ou Mithra, les ressuscités étaient souvent, au mieux, des vivants « en sursis » ; ils parvenaient à se mettre debout et à articuler quelques phrases, mais ne pouvaient ni boire ni manger, ni trouver le sommeil. Aussi s’éteignaient-ils au bout de quelques jours, dans d’atroces souffrances.
Bien qu’il ne bougeât, ni ne parlât, Abba dormait et son corps avait toléré un peu d’eau fraîche.
Cela seul suffisait à échauffer furieusement l’esprit de l’abbé Profuturus.
« Nous sommes à l’aube d’une ère nouvelle ! » était son exclamation du moment ; il la répétait pour lui seul, comme un apôtre – pensait-il en s’identifiant – après la Pentecôte.
Le visage d’Aba était comme du marbre, ses yeux, bien qu’allumés, restaient fixes, regardant sans rien voir. Les séquelles de sa noyade étaient imperceptibles.
Perrot demeura auprès de lui.
Ils n’avaient pas échangé le moindre signe, mais l’Enfant-Dieu était le seul à avoir senti le regard du ressuscité se poser volontairement sur lui.
À ce moment, il l’aurait juré, le père Aba lui avait souri…
Ravi par le succès de la résurrection et par les possibilités qu’elle laissait présager, Artémidore de Broca allait quitter le monastère Albert-le-Grand pour retourner à Rome surveiller l’élection du nouveau pape.
Il se fit conduire dans la chambre où avait été cloîtrée Até après son esclandre.
La jeune femme n’avait toujours pas retrouvé la maîtrise de ses sens ; elle s’entêtait dans ce qui s’apparentait à un long délire, criant, vociférant, proférant des imprécations contre les membres de ce monastère coupables selon elle de tenter le diable, d’offenser les lois de Dieu et de pousser à la naissance, en la personne du petit Perrot, d’un nouvel Ange exterminateur qui s’abattrait bientôt sur eux tous !
Até avait griffé son visage jusqu’au sang, ses yeux lançaient des flammes, ses cheveux dénoués lui donnaient l’air halluciné d’une Érinye.
À la vue de son père qui avait l’intention de la ramener à Rome avec lui, elle redoubla de cris et d’anathèmes. Une peur primale la dominait : elle déclara Artémidore de Broca agent du démon, accusé de tous les crimes et de toutes les bassesses d’Albert-le-Grand ; il était le Ganelon de l’Église qui préparait la voie à la cohorte de l’Antéchrist…
Le chancelier observa avec tristesse les errements de sa fille favorite.
Il ne pouvait être question de la reconduire en cet état à Rome. Il n’était plus question de lui faire confiance, malgré tout ce qu’elle avait déjà accompli.
Artémidore sentit son cœur se serrer.
— Elle reste ici.
Le ton de sa voix fit comprendre qu’il aurait tout aussi bien pu dire : « Elle meurt ici. »
C HAPITRE 19
Douze jours plus tard, Rome avait un nouveau pape.
À la surprise générale, pour la première fois, le frère d’un ordre mendiant ceignait la tiare : le franciscain Jérôme d’Ascoli devint, sous le nom de Nicolas IV, le cent quatre-vingt-neuvième successeur de saint Pierre.
Le nouveau souverain pontife, après avoir récité un long compliment devant le conclave, quitta les cardinaux électeurs pour traverser le palais du Latran en direction de la chancellerie.
Escorté de son chambellan et de trois prêtres de sa suite, il pénétra dans une vaste salle nue, dallée de marbre, aux plafonds élevés de plus de dix mètres, sans autre mobilier que le bureau de Fauvel de Bazan.
Un garde posté
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