Délivrez-nous du mal
plexus sacré.
Perrot observait tous les mouvements comme s’ils étaient articulés par des ombres ; il ne chgnait plus des paupières, son souffle s’accélérait et se raccourcissait.
Jamais il n’avait éprouvé autant de sensations neuves, de perceptions qui lui donnaient l’effet que son « don » était plus ample qu’il ne l’imaginait.
À nouveau, il se mit à entendre des voix. Mais cette fois, il comprit : il surprenait les voix intérieures de ceux qui l’entouraient !
Le processus débuta par celles de ses quatre compagnons. Agnès, Jehan, Simon et Damien, qui devinaient que les Incantations de Salomon lues par le moine excitaient chez eux leurs pouvoirs, s’en remettaient au serment qu’ils avaient échangé : refuser, faire échouer à tout prix l’expérience.
Mais il s’agissait désormais de ramener le père Aba à la vie !
Perrot avait deviné les intentions d’Artémidore de Broca.
Il aurait voulu hurler, interpeller les enfants, les pousser à renoncer à leur pacte, à l’aider à rendre vie au bon prêtre de Cantimpré… mais cette volonté supérieure qui avait établi son siège dans sa conscience, cette volonté supérieure lui déconseillait de s’exprimer.
Les outils de vivisection de la pièce étaient suspendus à des lanières de cuir ; l’abbé Profuturus prit un couteau et s’approcha du corps d’Aba. Il découpa une ouverture dans la peau de cerf et, sur l’avant-bras gauche, pratiqua une profonde entaille dans la chair blafarde.
Il se munit ensuite d’une fiole de sang rubicond et, à l’aide d’une lancette, en déposa quelques gouttes sur la blessure sombre qu’il avait ouverte.
Perrot, doté de nouveaux dons depuis que ses sens s’étaient mis en alerte, arrivait non seulement à entendre ce que l’abbé se disait, mais aussi à reconstituer le cheminement de ses sentiments et l’origine de ses espoirs actuels.
Bien des fois ; il avait pratiqué des perfusions liant un corps à un autre, pour tenter de faire profiter un malade du sang d’un corps sain ; mais, sans qu’il comprît pourquoi, certaines transfusions étaient couronnées de succès alors que d’autres tuaient en quelques instants les cobayes.
Il lui fallait découvrir le sang universel, appelé « sang du Christ », compatible entre tous les humains et tous les animaux. C’était indispensable pour le bon déroulement de l’expérience de résurrection d’après les formules de Salomon.
Profuturus chercha vingt ans durant, saignant des milliers de sujets à travers le monde. En tuant la grande majorité.
Jusqu’à ce que l’idée lui vînt de s’intéresser aux stigmatisés.
Il découvrit que le sang versé par ces élus aux six plaies du Christ en croix n’était pas le leur… Et qu’il était compatible avec celui de tous les humains.
Il avait trouvé le sang du Christ.
Perrot observa Artémidore de Broca :
La résurrection des corps !… Mais que dire des corps flambés, des décapités ; des dépouilles dévorées par des bêtes ? Comment les âmes retrouveront-elles ces corps au retour du Sauveur ?
Perrot alla chercher la réponse dans l’esprit de Profuturus.
Tout cadavre, même réduit en cendres ; conserve en lui une marque distinctive : une « empreinte » de l’âme qu’il a hébergée. C’est ce sceau, propre à chaque être vivant, qui est la garantie que chacun retrouvera son corps au Jugement dernier La démonstration était depuis longtemps sous nos yeux : lorsque Jésus ressuscite Lazare en lui intimant : « Viens ici ! », il ne s’adresse pas à son âme (comme le font tous les pseudo-thaumaturges qui se piquent de résurrection), mais à sa dépouille étendue depuis quatre jours dans le tombeau de Béthanie.
Ranimez le corps, et vous lui rendrez son âme.
Le relèvement des morts promis par le Christ est inscrit dans notre chair dès la naissance.
Telle avait été l’immense découverte accomplie ici par Arthuis de Beaune, suite au déchiffrement des écrits de Démocrite sur l’atome, des « visions » de saint Sélas et de la philosophie de l’Un selon Parménide.
À l’heure de la résurrection, le corps suscitera son âme, et non l’inverse !
Le moine lecteur continuait, imperturbable, à réciter Salomon, la voix lente, perpétuant le même verset qui, à force de scansion, résonnait comme un chant lugubre adressé à des forces invisibles.
Damien et Simon, eux, les voyaient , ces forces
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