Délivrez-nous du mal
s’adressait à lui, tant il lui paraissait impossible de l’imaginer là, sur son toit, au petit matin : Fauvel de Bazan, la créature d’Artémidore de Broca, encadré de quatre soldats.
Bénédict pâlit. À Rome, Fauvel de Bazan incarnait la corruption, l’impunité et la scélératesse de toute la curie. Le peuple gardait un fond d’indulgence pour son vieux maître Artémidore, mais concentrait sur Bazan tous ses griefs.
Comme tous les Romains, Bénédict savait qui il était, à quoi il ressemblait et de quoi il était capable.
— Nous connaissions ce passage bien avant ton installation à Rome ! lui dit Fauvel. Il servait aux marchandages des anciens propriétaires de ta boutique.
Il fit brutalement rentrer Bénédict.
À l’intérieur, Marco degli Miro avait fait briser la porte et laissé pénétrer ses hommes.
Tous se retrouvèrent dans la salle du bas.
Lorsque Bénédict croisa le regard de Marco degli Miro, celui-ci fit un signe discret, comme s’il eût voulu lui dire : « Ne t’avais-je pas averti de rester à l’écart de cette affaire ? »
Bénédict s’inquiéta de l’importance du dispositif engagé pour son arrestation. Bazan observa les rayonnages de ses livres et de ses documents, passa ses doigts gantés de blanc sur un buste d’Empédocle, referma le couvercle de plomb de la corne à encre de l’écritoire, le tout avec une négligence pleine d’affectation.
— Cela fait longtemps que j’attends ce jour, murmura-t-il. Je n’ai jamais admis la légèreté avec laquelle la police et les juges de cette ville t’ont laissé impudemment jouer au bon Samaritain, t’en prendre aux puissants, encombrer les prétoires de tes plaidoiries de logicien !…
Bénédict n’ignorait pas que son activité de redresseur de torts était mal vue par les autorités.
— Il faut bien que quelqu’un s’y emploie, osa-t-il répondre. Rome n’est pas exempte d’iniquités, et beaucoup de ses pauvres n’ont personne vers qui se tourner.
Fauvel de Bazan haussa les épaules :
— Ils ont les prêtres et les évêques. La justice est tout entière entre les mains des représentants de Dieu.
— Mais qui leur reste-t-il lorsque ce sont précisément les évêques qui compromettent les droits et…
Bénédict ne put achever sa remarque, Fauvel de Bazan avait bondi sur lui et le roua de coups. Immobilisé par deux gardes, Gui plia sous les poings du secrétaire du chancelier. Son sang lui coula du nez jusque sur la barbe.
— Tu vois, reprit Fauvel de Bazan, essoufflé, c’est exactement ce que je répétais à ceux qui trouvaient que tu étais un brave garçon, un « mal nécessaire » pour assurer la tranquillité de la populace : tu es un impie, Bénédict Gui ! Mes agents l’ont relevé, tu n’assistes à aucun sermon, tu professes des idées qui défient le dogme, tu dissimules ta vie comme ces hérétiques qui ont des pensées et des actions inavouables, tu portes la barbe comme l’Apostat. En vérité, tu méprises l’Église !
Il lui releva la tête en lui agrippant les cheveux :
— Si l’on m’avait écouté, tu ne serais qu’un tas de cendres depuis longtemps.
Le visage de Gui était défait par la douleur.
— Que me reprochez-vous ? parvint-il à articuler.
Fauvel de Bazan sourit. Il fit deux pas en arrière et reprit d’une voix allégée, comme si de rien n’était :
— On se lève un matin, une jeune fille innocente entre nous voir pour réclamer de l’aide au sujet de son frère disparu, et, comment dire… ? On perd sa tranquillité. Sait-on jamais par quel détail notre chute doit être provoquée ?
— Zapetta ? s’inquiéta Bénédict. Je cherche à découvrir ce qu’il est advenu de son frère. Ai-je en cela commis un acte exécrable aux yeux de Dieu ?
Fauvel de Bazan hocha la tête :
— Ne commence pas ta rhétorique avec moi. Tu as un vrai talent, Bénédict : la prévoyance. Tu sais éviter un mal ou, mieux encore, en atténuer les effets lorsqu’il survient. Je peux juger de tes mérites car nous sommes faits de la même trempe, toi et moi. Seulement, rien ne résiste mieux à la volonté méthodique d’un esprit froid et calculateur…
Il sourit :
— … qu’une autre volonté méthodique, froide et calculatrice !
Il fit un signe de la main et Marco degli Miro approcha.
Il tenait un sac de toile noire qu’il remit à Fauvel de Bazan. Ce dernier défit le nœud de corde qui étranglait son
Weitere Kostenlose Bücher