Délivrez-nous du mal
de parler à mi-voix.
Les trois personnages de marque regardaient Perrot avec fascination.
— Vous êtes certain qu’il me fera avoir des enfants ? demanda l’une des femmes.
— Il peut guérir des abcès ? s’étonna l’homme.
— Il fera mourir mon mari ? interrogea la seconde femme.
— Payez-nous et vous le verrez, répondit un garde.
— Ce garçon arrive à tout, assura l’autre.
Subjugué, l’homme au grand manteau sortit une bourse de sequins qu’il leur remit :
— Vous le conduirez demain en mon château, dit-il, et si vous dites vrai, vous deviendrez plus riches que vous l’avez jamais imaginé !
Les gardes sourirent d’aise.
L’une des femmes s’approcha de Perrot et leva la main pour lui caresser la joue, mais l’enfant recula d’instinct, comme un chien trop souvent battu.
— N’aie pas peur, petit…
Elle passa ses doigts dans ses cheveux blonds.
Après quoi, tout se déroula à la vitesse de l’éclair.
La femme souriait à Perrot, mais ses lèvres se figèrent et un flot de sang rubis en jaillit. Une pointe d’épée venait d’apparaître entre ses seins, la transperçant de part en part !
En quelques secondes, les deux gardes et leurs trois invités furent passés au fil de l’épée.
Até de Brayac avait surpris le trafic.
— Tout le monde en selle ! hurla-t-elle, ivre de colère.
Elle fit réunir toute sa troupe autour d’elle.
– Plus personne n’approche du garçon. Je tuerai de mes mains quiconque d’entre vous désobéira.
Elle prit le garçon avec elle, comme s’il eût été la chose la plus importante de sa vie.
C HAPITRE 10
Bénédict Gui fut réveillé en sursaut.
La tête alourdie par la nuit passée à suivre Marteen dans les tavernes, puis à étudier de retour chez lui les documents qu’il possédait sur le village de Cantimpré évoqué par le Flamand, il avait dormi bien plus tard que d’habitude. Mais ce ne fut ni le mal de tête provoqué par l’ivresse ni même l’heure tardive qui le fit se dresser sur son lit : des bruits inhabituels montaient de la rue.
Dehors le jour s’était fait. La lumière entrait dans la chambre par deux fines croisées, l’une fermée par un volet, l’autre obstruée par une colonne de livres.
Bénédict Gui, qui avait l’oreille exercée, ne reconnut pas les sons ordinaires des passants ou des commerçants : il entendait, à la place, une soldatesque en nombre avec son cliquetis de ferraille.
Et la troupe venait de s’arrêter non loin de sa porte.
Il se précipita hors de son lit et se glissa vers la fenêtre cachée derrière la pile d’ouvrages. Il déplaça quelques livres pour observer la rue. Sans surprise, il constata qu’une quinzaine de soldats étaient en poste devant sa boutique.
Il reconnut Marco degli Miro de dos.
« Je vieillis, se dit Bénédict. Moi qui pensais que cela leur prendrait trois jours pour me faire arrêter… Un seul aura suffi ! »
Il se hâta d’enfiler ses vêtements, se munit de la bourse où il conservait ses économies et les deux ducats d’or restants de Maxime de Chênedollé. Il prit aussi la pierre rougeâtre et le sachet de poudre blanche qu’il avait mis de côté et fit disparaître le tout dans le revers de sa ceinture.
Un premier coup violent fut frappé à la porte du bas.
Sans répondre, il revêtit son manteau noir.
Le chef de la garde ordonnait que la porte lui fût ouverte, menaçant de l’enfoncer à la prochaine sommation.
Bénédict se porta devant un rayonnage de livres. Il élargit ce mur d’étagère en l’entraînant vers lui, le faisant pivoter sur des gonds, puis se glissa dans l’issue secrète qu’il dissimulait, en refermant le meuble derrière lui. Il longea un couloir exigu et sans lumière, jusqu’à atteindre une trappe qui lui donnait accès aux toits. Il grimpa sur un escabeau disposé à cet effet et sortit avec quelque peine, s’agrippant à de vieilles tuiles grasses. Puis il fit quelques pas en direction d’une plate-forme où se trouvait une échelle de bois qui devait le conduire dans une rue perpendiculaire à sa boutique.
Bénédict s’arrêta net : l’échelle avait disparu !
Une voix s’éleva alors dans son dos et il sentit la pointe d’une épée se ficher entre ses omoplates.
— Bénédict Gui, j’attendais mieux d’un homme de ressources comme toi !
Bénédict tourna lentement la tête et mit un certain temps avant de reconnaître l’homme qui
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