Dernier acte à Palmyre
tombait la fraîcheur toute relative du soir, les habitants avaient plaisir à assister à une représentation théâtrale. Durant la journée, les gens se regroupaient dans le peu d’ombre qu’ils dénichaient ; les commerces baissaient leurs volets pendant l’après-midi ; personne ne voyageait – sauf les malheureux qui avaient une mort dans la famille, et les étrangers aussi débiles que nous. La nuit, les gens sortaient de chez eux pour se rencontrer et chercher des distractions. Une compagnie comme la nôtre n’avait pas les moyens de s’arrêter de travailler. Malgré la chaleur accablante, nous devions continuer.
Chremes organisa une réunion à laquelle il convia tout le monde. Notre troupe hétéroclite s’installa fort bruyamment en formant un grand cercle. Il grimpa alors sur une carriole pour mieux se faire entendre. Pour une fois, il paraissait sûr de lui, mais nous le connaissions trop bien pour nous y laisser prendre.
— Eh bien, nous avons accompli un circuit naturel, commença-t-il avec grandiloquence. Nous devons maintenant décider de la suite de notre parcours.
Près de moi, j’entendis quelqu’un suggérer à mi-voix que Chremes pourrait essayer de se rendre chez Hadès.
— Il y a plusieurs options possibles. Mais quelle que soit notre décision, aucun de vous n’est tenu de continuer.
C’était une bien mauvaise nouvelle pour ceux d’entre nous qui souhaitions garder tous les membres de la troupe ensemble, afin d’identifier le meurtrier. Nul doute qu’il n’allait pas manquer une aussi belle occasion. Il serait l’un des premiers à dénoncer son contrat pour se perdre dans la nature.
— Et notre argent ? demanda une voix que je ne pus identifier.
Je me demandai in petto s’ils avaient eu vent que leurs payes s’étaient envolées. Ils ne m’en avaient pourtant pas touché mot, l’autre jour, en m’exprimant leurs doléances. Il n’était cependant pas impossible que leur grève ait eu pour origine la rumeur que Chremes avait vidé la caisse. À ce moment-là, ils devaient avoir peur que je lui rapporte notre discussion, et ils m’avaient caché leurs craintes.
Davos croisa les bras et regarda Chremes d’un air narquois. Sans la moindre hésitation, le directeur déclara :
— Je vais vous régler maintenant ce que vous avez déjà gagné.
Il parlait avec assurance. Comme Davos, je préférais en sourire. Chremes avait frôlé le désastre, mais avait été sauvé juste à temps par le meurtrier qui avait réglé son sort à Heliodorus. Combien d’entre nous peuvent espérer bénéficier d’un tel coup de chance ? Maintenant, notre cher directeur arborait l’air satisfait de ceux qui sont constamment sauvés in extremis par les Parques. Ce qui n’avait jamais été mon cas. Mais de tels hommes existent. Des hommes auxquels leurs fautes n’apprennent jamais rien, parce qu’ils n’ont pas à les payer. Quelques brefs instants de panique seraient les pires effets ressentis par Chremes. Il allait continuer d’avancer dans la vie en se conduisant le plus mal possible, sans se soucier du bonheur des autres, et n’aurait jamais à affronter ses responsabilités.
Bien sûr qu’il pouvait produire l’argent qu’il devait aux machinistes et aux musiciens, grâce à Heliodorus qui l’avait tiré d’un mauvais pas. Ensuite, il n’aurait rien de plus pressé que d’oublier cette dette. D’ailleurs, j’étais persuadé que pour se sortir de cette impasse, il aurait pu aller jusqu’à tuer le scribe lui-même s’il avait été certain de ne pas se faire prendre. Ne connaissant pas la vérité, Phrygia n’avait pas pu comprendre l’ironie de sa réponse quand je l’avais interrogée sur les héritiers éventuels d’Heliodorus, et qu’elle m’avait répondu qu’il n’en avait pas.
Je dévisageai Chremes durement, mais j’étais bien obligé de le rayer de ma liste de suspects. Il possédait des alibis pour les deux meurtres, et ne se trouvait pas près de Musa la nuit où celui-ci avait été attaqué.
Je fis ensuite le tour de l’assemblée des yeux. Je pouvais distinguer tous les visages, et parmi eux se trouvait forcément celui que je cherchais. Le tueur était-il l’un de ceux qui me rendaient mon regard ? Je les scrutais tour à tour en prenant l’air de quelqu’un qui a découvert un de leurs secrets. Davos semblait toujours aussi digne de confiance – pouvait-on vraiment être aussi droit que Davos paraissait l’être ? – ;
Weitere Kostenlose Bücher