Dernier acte à Palmyre
Sophrona.
J’avoue que je commençais à en avoir par-dessus la tête de chercher cette fille. Je me sentais gagné par la mauvaise humeur et le découragement. J’avais fait le plein d’acropoles. Peu m’importait de ne plus jamais revoir de ma vie une petite cité entourée de remparts et abritant de beaux temples qui pointaient leurs colonnes ioniques au-dessus de somptueux échafaudages. J’en avais plus rien à foutre de toute cette prétentieuse Décapole. Commagène avait au moins un avantage, personne n’avait jamais suggéré que M. Didius Falco aille y traîner ses bottes.
Vraiment, je n’en pouvais plus de retirer des cailloux dans mes chaussures et de respirer l’haleine fétide des chameaux. Je voulais revoir les glorieux monuments que je connaissais, et les hauts immeubles d’appartements. Je voulais qu’on me vende un poisson à la fraîcheur douteuse qui aurait le goût de la vase du Tibre et que je mangerais sur la terrasse de mon galetas de l’Aventin, en attendant qu’un ami frappe à ma porte. Je voulais exhaler des odeurs d’ail au visage d’un édile. Je voulais pouvoir menacer un banquier de l’étrangler. Je voulais entendre ce hurlement qui monte de la foule sur le champ de courses du Circus Maximus. Je voulais qu’on me parle de scandales spectaculaires et de crimes affreux. Je voulais être surpris par le gigantisme et le sordide. Je voulais rentrer à la maison.
— Qu’est-ce que tu as ? demanda Helena. Mal aux dents ?
Je lui prouvai que mes dents fonctionnaient parfaitement en les faisant grincer.
Pour la troupe, la situation ne s’annonçait pas si mauvaise. Nous pûmes donner deux représentations à Capitolias. Chremes choisit d’abord la pièce sur Hercule, parce qu’elle venait tout juste d’être répétée. Ensuite, comme Davos l’avait prédit, il eut envie de poursuivre avec la série des dieux en goguette, et nous eûmes droit à Zeus. Les spectateurs qui apprécièrent ce choix furent ceux qui aimaient voir des farces pleines d’échelles posées contre les fenêtres de la chambre des femmes, de maris cocus tambourinant sur des portes barricadées, de dieux tournés en ridicule, et Byrria dans une chemise de nuit qui ne laissait pas grand-chose à l’imagination.
Musa resta silencieux. Ce qui pouvait signifier qu’il appréciait beaucoup ou n’aimait pas du tout. Difficile à dire. Cependant, pour ceux qui le connaissaient bien, la qualité de son silence révélait un changement d’humeur. Il paraissait broyer du noir – réaction plutôt inquiétante chez quelqu’un dont la vie professionnelle consistait à trancher des gorges.
Helena et moi nous demandions tous les deux si le nouveau silence du prêtre indiquait que son attirance pour la beauté de Byrria l’avait mis à l’agonie, ou s’il était complètement écœuré par le rôle polisson qu’il lui avait vu jouer. Quels que soient ses sentiments, Musa avait du mal à les maîtriser. Nous étions prêts à lui offrir notre sympathie, mais il était clair qu’il préférait se débrouiller sans l’aide de personne.
Pour l’obliger à penser à autre chose, je le fis participer plus activement à mon enquête. J’aurais préféré agir seul, mais je n’avais pas le cœur d’abandonner un homme à l’amour. Musa était un homme plein de bon sens, mais il manquait d’expérience. La pire combinaison qu’on pût imaginer pour s’attaquer à une proie sauvage comme Byrria. Séduire une femme qui savait aussi bien qu’elle se protéger des hommes demandait une longue pratique.
— Je peux te donner des conseils, si tu veux, proposai-je d’un ton aimable. Mais les conseils sont rarement efficaces. C’est en commettant des fautes qu’on apprend.
— Oui, sans doute, répliqua-t-il l’air absent.
Je n’avais encore jamais rencontré un homme qui pouvait discourir sur les femmes d’une façon aussi évasive.
— Si on parlait de notre travail, Falco ?
S’il souhaitait s’abrutir de travail, franchement, c’était une bonne idée. Je lui expliquai alors que poser des questions aux gens sur l’argent serait aussi difficile que de donner des conseils à un ami dans une histoire d’amour. Il me fit l’aumône d’un sourire, et nous partîmes vérifier l’histoire que Davos m’avait racontée.
Je préférais éviter de questionner Chremes directement au sujet de ses dettes. L’asticoter serait une perte de temps, car nous n’avions aucune preuve qu’il
Weitere Kostenlose Bücher