Dernier acte à Palmyre

chameau, elle avait acheté un lionceau et plusieurs perroquets indiens, et bien sûr, un foutu serpent venimeux de plus. Elle avait financé son voyage en se produisant un peu partout dans sa danse avec Zeno, son python. Et elle avait vu mon nom sur les affiches.
    — Alors me voilà, conclut-elle.
    — Je vais peut-être enfin admirer ton numéro.
    — Mon numéro n’est pas pour ceux qui ont le cœur fragile.
    — De toute façon, il est où, ton fameux python ?
    — Il arrive à petite vitesse. Il faut pas le brusquer. C’est pas comme Jason qui est plus accommodant. Et quand je lui ai dit que c’était toi qu’on allait voir, il s’est montré très impatient.
    Grâce à Jupiter, nous avions enfin atteint ma tente.
    En voyant l’état dans lequel se trouvait Helena, Thalia retint son souffle.
    — Je t’ai apporté un petit cadeau, chérie, mais t’excite pas trop, c’est pas un autre homme. (Elle brandit de nouveau son petit pot de fer.) Pas très grand, mais très efficace.
    — Ça doit être la devise de Philocrates, parvint à plaisanter Helena qui parut retrouver un peu d’énergie.
    Thalia s’était déjà mise à genoux et défaisait son pansement, aussi gentiment que si elle s’apprêtait à soigner un de ses animaux malades.
    — Eh ben ! ma chérie, un apprenti boucher t’a salement arrangée avec son hachoir !
    — Il a fait de son mieux, murmura loyalement Helena Justina.
    — Il a fait de son mieux pour te mutiler, oui ! tonitrua la charmeuse de serpents avec sa délicatesse habituelle.
    — Ne plaisante pas avec ça, Thalia ! Et parle-nous plutôt de ta jarre magique. Qu’est-ce qu’il y a dedans ?
    Par précaution, je tenais à savoir avec quoi elle allait oindre ma princesse.
    — Du mithridatium.
    — Je devrais savoir ce que c’est ?
    — Tu as entendu parler de l’or et de l’encens ? Eh bien, à côté de ça, il s’agit de produits bon marché. Cette potion contient trente-trois ingrédients différents, Falco. Et chacun de ces produits est assez cher pour mettre Crésus en faillite. C’est un antidote bon pour tout, des morsures de serpents aux ongles cassés.
    — Alors vas-y, acquiesçai-je.
    Thalia souleva le couvercle avec autant de délectation que si son pot contenait un puissant aphrodisiaque.
    — Je vais d’abord badigeonner ta dame, annonça-t-elle, je te dirai ensuite ce que tu me dois.
    Je lui déclarai que si son mithridatium pouvait aider Helena, elle pouvait en étaler trois doigts d’épaisseur avec une truelle.
    — Écoute-le ! dit Thalia à sa patiente sur le ton de la confidence. N’est-ce pas qu’il est ridicule et que tu adores entendre ses mensonges ?
    Helena, qui ne laissait jamais passer une occasion de se moquer de moi, éclata de rire.
     
    Quand nous pûmes enfin poursuivre notre route vers Palmyre, Thalia chevauchait près de nous, mais faisait parfois galoper son chameau de course en rond autour de notre caravane pour lui dégourdir les pattes. Jason avait préféré s’installer confortablement dans un panier à l’arrière de mon chariot. Il supportait mal la chaleur de la Syrie et gisait pratiquement inerte. À chaque fois que nous disposions d’un peu d’eau, nous lui donnions un bain.
    — Mon python n’est pas le seul reptile dans ce groupe ! me glissa furtivement Thalia. J’ai vu que vous aviez ce comique qui a tout vu et tout entendu : Tranio.
    — Tu le connais ?
    — Je l’ai déjà rencontré. Quand on est dans le monde du spectacle depuis aussi longtemps que moi, et qu’on a travaillé dans des tas d’endroits bizarres, on connaît à peu près tout le monde. Il a beaucoup d’humour, mais il est bien trop prétentieux.
    — Et son partenaire ? Tu le connais aussi ?
    — Celui qui a les cheveux raides et les yeux fuyants ?
    — Oui, Grumio.
    — C’est la première fois que je le vois. Mais je n’en dirais pas autant de tous les autres.
    — Ah bon ? Qui connais-tu encore ?
    — Quelqu’un que je n’ai pas vu depuis des années. Je me demande si moi je vais être reconnue.
    J’imaginai immédiatement une incroyable possibilité.
     
    Après ce que venait de dire Thalia, Helena et moi étions toujours occupés à faire des suppositions, quand la caravane arriva enfin au bout de notre périple. Nous avions voyagé toute la nuit, et l’aube venait de se lever. La piste était devenue plus sinueuse en s’élevant à travers des collines, puis nous avions atteint une plaine. Nous devions être à peu près à