Dernier acte à Palmyre
Ce n’était pas vraiment un modèle de beauté féminine. Nous leur avions réservé des sièges dans la rangée de devant. Il ne restait plus à espérer que les soldats parqués derrière ne leur lanceraient pas de projectiles trop dangereux.
Sophrona était arrivée avant eux, et je l’avais chargée de servir de chaperon à Helena Justina. Thalia se garda bien de se montrer, pour empêcher la musicienne de deviner ce qui se préparait à son insu, et prévenir sa fuite éventuelle. Naturellement, ce qui devait arriver arriva : la famille Habib ne tarda pas à repérer Sophrona dans la tribune officielle, près du commandant et d’Helena. Helena qui, pour une fois, s’était habillée en fille de sénateur, grâce à des coupons de soie achetés à Palmyre même. Des bracelets de bronze recouvraient son bras blessé jusqu’au coude. En outre, comme il s’agissait de la première de ma pièce et qu’elle tenait à me faire honneur, elle avait même sorti une tiare à laquelle elle avait accroché le voile traditionnel.
La famille parut impressionnée, ce qui était un signe favorable. J’ignorais encore quelle fin j’allais imaginer pour leur petit drame familial, mais après trois mois passés au sein d’une troupe de théâtre comme auteur, je débordais d’idées loufoques.
Cet amphithéâtre était petit et pas du tout équipé pour y donner des pièces de théâtre. Il avait été uniquement conçu pour des combats de gladiateurs et de bêtes sauvages. L’arène comportait deux grandes niches à chaque bout de l’ellipse. Dans l’une, les machinistes avaient installé une immense statue de Némésis décorée de guirlandes, et les musiciens s’abritaient sous ses cotillons. L’autre allait servir de refuge aux acteurs que le scénario obligeait à quitter la scène. Tout autour de l’arène courait une haute barrière protectrice en bois. La tribune officielle, simple estrade garnie de quelques trônes, était placée sur le côté.
L’ambiance était chaude. Trop chaude. Les soldats étaient agités. Très agités. Je voyais l’instant approcher où ils mettraient le feu à leurs sièges.
C’était le moment ou jamais de détourner leur attention vers les musiciens et les danseuses. De la tribune, l’officier commandant la garnison laissa obligeamment tomber une écharpe blanche.
Toujours planté à l’entrée, j’étais en train d’écouter l’orchestre jouer son premier morceau, quand Thalia apparut à côté de moi.
Afrania et Plancina arrivèrent à leur tour enveloppées dans des étoles. Elles portaient des diadèmes où étaient accrochés des voiles, mais sous les étoles seulement des ceintures prolongées par quelques bouts d’étoffe parsemés de clochettes et de paillettes. Thalia accueillit sous son aile Plancina qui paraissait nerveuse, tandis que j’échangeais quelques mots avec Afrania.
— Quelle soirée en perspective, Falco !
Les soldats, qui avaient aperçu les filles, s’étaient mis à taper des pieds, et leurs lourdes bottes faisaient vibrer tout l’amphithéâtre.
— Ne t’inquiète pas. En te voyant sur scène, ils vont devenir comme des chatons.
— Oh ! pour être des animaux, c’est des animaux. Ça, j’en doute pas un seul instant.
Plancina courut sur scène et se mit à faire des choses incroyables avec une paire de castagnettes.
— Pas mal du tout, commenta Thalia.
Ensuite, Plancina déclencha un tonnerre d’applaudissements avec sa danse accompagnée à la flûte de Pan. C’est alors qu’Afrania laissa tomber son étole et, presque nue, bondit en scène pour se joindre à elle en soufflant dans son instrument.
— Ooooooh ! m’exclamai-je.
— Ouais, grogna Thalia, visiblement pas très impressionnée.
Bientôt, les machinistes s’assemblèrent à leur tour près de la porte, avec les accessoires dont nous aurions besoin dans Le Fantôme qui parlait. Ils ne tardèrent pas à être rejoints par les acteurs qui sortirent de la tente où ils s’habillaient, en un groupe compact et nerveux. Soudain, Musa se trouva près de moi.
— C’est ton grand soir, Falco !
Je commençais à en avoir sérieusement marre d’entendre cette rengaine.
— C’est rien d’autre qu’une pièce de théâtre.
— J’ai aussi mon rôle à jouer.
Il tenait dans ses bras le chevreau que Tranio était censé faire cuire, et le pauvre animal déployait beaucoup d’efforts pour s’échapper. Le prêtre était également chargé
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