Des Jours sans Fin
distraction consiste à nous faire marcher au pas de l’oie, autour du bassin. Drokur iv se place alternativement derrière les uns et les autres et, à chaque enjambée, administre à celui qui le précède un formidable coup de pied. Le pauvre Adam, repéré, en reçoit la plus grande partie, à chaque fois il est presque soulevé de terre ; c’est pénible et grotesque tout en même temps.
— Vers midi ces jeux cessent, et la soupe, venant de la prison de Sarrebrück, est distribuée. Chacun en perçoit une bonne louche, elle n’est pas mauvaise ; aussi nous asseyons-nous à terre pour la manger. Quel crime avons-nous commis, mon Dieu ! Le S.S. se précipite, furieux, frappant à droite et à gauche, aidé par quelques acolytes. Il faut manger debout, toujours face à l’implacable soleil.
— La dernière cuiller avalée, nous assistons au repas de ces messieurs que l’on sert sur une table, devant le bâtiment de la fouille. À chaque instant, un S.S. se lève et vient distribuer quelques coups de poing sous le menton, pour forcer les bandits que nous sommes à fixer le soleil.
— L’après-midi se passe à la même cadence. Vers 15 heures peut-être, alors que nous ne sommes qu’au piquet, une voiture de la police arrive avec deux inspecteurs et deux femmes allemandes sans l’ombre d’uniforme ni d’insigne. En l’honneur de ces belles visiteuses, le cirque reprend de plus belle. Au « pilou-pilou » succèdent des courses échevelées autour du bassin avec plat-ventre immédiat au coup de sifflet, puis toutes sortes d’exercices sportifs de la sorte, le tout soigneusement assaisonné de coups de nerf de bœuf. Les deux garces rient à gorge déployée ; je commence à saisir le fond bestial de l’âme allemande. Il est d’ailleurs remarquable que, jusqu’à présent, les bourreaux aient particulièrement visé les plus faibles d’entre nous.
— Vers l8 heures, aussitôt après une nouvelle soupe et une mince tranche de pain, nous prenons place pour l’appel avec tous les autres détenus rentrés du travail. Ceux-ci, Français, Russes ou Polonais sont de tout jeunes gens. Ce sont des travailleurs libres qui ont commis des actes d’indiscipline dans leur usine ou ont tenté de fuir. Ils sont alors en stage ici pour une durée allant de huit jours à trois semaines, après quoi ils sont renvoyés, en général, dans des fabriques. Tous sont vêtus de gris, l’uniforme d’ici que nous n’avons pas perçu, et ont le crâne rasé.
— Nous constituons le premier convoi de politiques qui séjourne à Sarrebrück. Nous ne serons pas, hélas ! le dernier. Ce camp, d’ailleurs, est très récent : quelques semaines, quelques mois au plus. Il est prévu, paraît-il, un emplacement pour des femmes. Pourvu que les nôtres ne viennent pas un jour échouer là ! Au cours de cette journée, j’en ai beaucoup appris sur les boches et leur civilisation, maintenant rien ne m’étonnera.
— Au total, en ce soir du 17 août 1943, nous sommes trois cents prisonniers au camp. Cela ne devrait pas être bien long à compter même si l’on ajoute le temps nécessaire à la constitution des dix ou douze groupes de travail du lendemain. L’appel n’en durera pas moins deux à trois heures. Il fait nuit noire lorsque nous sommes autorisés à rentrer au block qui nous est affecté, cela doit faire au minimum quatorze heures que nous sommes debout, de nombreux camarades souffrent de douloureux coups de soleil. Tous, nous avons le visage et le crâne en feu, mais nous allons pouvoir dormir aussitôt.
— Espoir vain ! Une fois rentrés, il faut attendre encore en rang un nouvel appel fait à 22 h 30, à l’intérieur, toujours en silence. Enfin, à 23 heures, il est permis de prendre place sur des lits en bois à deux étages, entièrement neufs mais dépourvus non seulement de couverture mais même du plus petit brin de paille. Tragique prise de contact avec l’Allemagne ; une seule bonne chose au tableau : l’alerte a été donnée quatre fois dans la journée.
— Allongés côte à côte, Edmond et moi nous nous souhaitons bonne nuit, heureux d’être ensemble pour nous soutenir dans cet enfer et malgré la dureté de la couche, ne tardons pas à nous endormir.
— Il est à peine 4 heures lorsqu’un coup de sifflet strident nous arrache au sommeil. Notre première nuit a été courte et la vie infernale reprend dès le premier instant. À peine réveillés il faut
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