Des Jours sans Fin
s’habiller et sortir pour le quart d’eau tiède et la petite tranche de pain. Un quart d’heure après, l’appel commence, dans la nuit… Une consolation, les lits n’auront été ni longs ni difficiles à faire. Quant à la toilette, nous n’avons pas été envoyés au lavabo car il y a douche après le rassemblement.
— Dès les premières minutes, nous avons fait connaissance avec une nouvelle catégorie d’individus, celle des prisonniers nantis de postes de confiance ; un peu dans le genre de ce que seront à Mauthausen les kapos.
— À Sarrebrück, avec les S.S. en permanence sur le dos et un effectif restreint, les privilégiés sont rares. Il y a avant tout le magasinier, sombre brute, nommé Gaty je crois, au front bas, à l’œil stupide et méchant. Il est le maître absolu des locaux où sont rangés les uniformes gris, les paillasses et couvertures (pour d’autres que nous qui n’y avons pas droit), les gamelles… et où sont entreposées nos valises. De plus, il prépare les appels ; nous compte et nous recompte sur les rangs avant et avec les S.S. Son antre est à côté de notre chambre ; dès que l’un de nous a le malheur d’élever la voix, il surgit et profère mille menaces. Bien entendu, il ne se déplace jamais sans sa matraque en caoutchouc, aussi longue mais plus grosse qu’une pompe de bicyclette v .
À chaque instant, il en frappe les détenus sur la tête, le dos ou les épaules. Chaque fois que nous sortons du block ou y entrons, il se place à la porte, assez étroite, à laquelle on accède par deux ou trois marches, un S.S. ou deux s’installent de l’autre côté et on frappe à coups redoublés sur le troupeau qui passe. Comme la plaisanterie amuse, on fait entrer et sortir quatre ou cinq fois à chaque rassemblement. Malheur à celui qui trébuche et tombe en rentrant ou sortant, s’il a eu la chance d’éviter les coups, il est piétiné par tous les camarades, sans exception. Je n’étonnerai aucun de ceux qui sont passés par les camps de concentration en signalant que ce beau spécimen de civilisation est de nationalité polonaise.
— Le deuxième caïd est un garçon de trente-cinq ans environ, correctement vêtu d’une culotte militaire avec des bottes noires. Il s’occupe de la discipline générale et des appels dans les autres blocks. Lui aussi a en main une cravache, mais je dois reconnaître qu’il ne s’en sert pratiquement pas. Nous n’aurons jamais eu à en souffrir. C’est également un Polonais.
— Ces deux premiers, ainsi que le cuisinier des S.S., René, un Sarrois qui a servi longtemps à la Légion et fait tout pour nous être agréable, portent les cheveux longs.
— Le troisième est un petit homme trapu, au crâne rasé, à l’allure de gorille. C’est le préposé au « waschraum » dont il assure la garde avec vigilance. Constamment armé d’un énorme gourdin, il frappe comme un sourd à tous et hors de propos, et accourt à la curée avec joie, au premier signal du S.S. Lui est Russe et s’appelle Molotov.
Enfin, deux autres individus de moindre importance : l’interprète officiel des Français, le fameux Lorrain ou pseudo-Lorrain, à l’air faux, vêtu d’un pantalon de plage vert et chaussé de galoches, et un Allemand, notre chef de chambre. Ils ne frapperont ni l’un ni l’autre, mais toujours nous aurons de la méfiance à l’endroit du Lorrain qui, d’ailleurs, parle moins bien encore le français que le chef de chambre allemand.
— L’appel du matin a été long, d’autant plus qu’on attend le jour, debout, en rangs, devant les baraquements. Une fois fini, ce sont les douches. On y va au pas de course, allure obligatoire ici. Elles sont bien installées, il y a même des glaces au mur – mais pourquoi ? (nous n’avons plus de cheveux et ne possédons pas de rasoir). Quelques secondes après l’entrée, l’eau coule ; tant pis pour celui qui est un peu lent dans ses mouvements. Elle est bien chaude, mais cela ne dure pas une minute en tout. Il faut remettre les vêtements sans se sécher, et Molotov se charge de hâter la sortie des pauvres types dont la plupart ont leurs effets à la main. Voilà bien l’hygiène en Allemagne. À quelque visiteur de marque, on pourrait montrer avec orgueil, dans ce camp pour trois cents hommes, une belle salle de douches avec au moins vingt pommes, en face, des lavabos avec une cinquantaine de robinets, des glaces au mur… Mais on évitera
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