Des rêves plein la tête
particulièrement agité en classe, il semblait être
devenu la tête de Turc de madame Beauchamp, son institutrice. Il ne se passait
guère de jour où il ne recevait pas une punition. Les coups de baguette sur les
doigts et les mises en quarantaine, debout dans un coin, ne paraissaient
cependant pas avoir d'effets durables sur le gamin. En deux mois, il avait même
à son crédit deux visites au bureau de l'imposant Hervé Magnan, alors que ses
frères n'y avaient jamais mis les pieds. A chaque occasion, il avait été
sévèrement puni pour s'être battu avec un camarade qui avait osé se moquer de
ses grandes oreilles décollées.
— Où est
Jean-Louis ? demanda la mère de famille à Gilles.
— Il s'en vient,
m'man. On l'a lâché, il marchait pas assez vite.
— Pourquoi je
peux pas aller jouer dehors? insista Richard. Il fait encore clair.
— Parce que tu
prends trop de temps pour faire tes devoirs quand t'attends après le souper.
Ouvre ton sac et mets tes affaires sur la table.
Quand Gérard
rentra, Laurette ordonna aux quatre écoliers installés sur la table de cuisine
de ranger leurs effets pour que Denise puisse dresser le couvert.
— Ta mère et ton
père sont arrêtés cet après-midi, lui apprit sa femme.
— En quel honneur
?
— Je sais pas si
tu le sais, mais ton père prend sa retraite dans une semaine. Il a dit qu'il
était venu en ville pour signer des papiers.
— C'est vrai
qu'il vieillit, reconnut Gérard. Maudit que le temps passe vite. C'est comme
ton père...
— Whow ! Exagère
pas, verrat ! Mon père est ben plus jeune que le tien, protesta Laurette. Ils
ont au moins six ans de différence.
— Mon père et ma
mère auraient pu revenir pour souper.
— Je leur ai
offert, mais ils avaient pas le temps, lui expliqua sa femme. Ils avaient
probablement promis à Colombe d'aller souper chez eux, ajouta-t-elle, acide.
Ils ont même pas voulu rester pour voir les enfants.
— Ils devaient
être pressés...
— Ta mère a
laissé une bouteille d'huile de foie de morue. D'après elle, c'est ben bon pour
les enfants s'ils en prennent une cuillerée tous les matins. Chez nous, on n'a
jamais pris ça quand j'étais jeune.
— Ma mère a
raison, déclara Gérard. Elle m'en a fait prendre tous les hivers et j'ai jamais
été malade.
— Au fond, c'est
peut-être un bon moyen pour qu'ils attrapent pas la grippe, comme ils le font
tous les hivers que le bon Dieu amène, dit Laurette sur un ton peu convaincu.
Elle abandonna
durant un moment la fricassée qu'elle était occupée à touiller dans une grande
poêle pour s'emparer de la bouteille remplie du liquide transparent. Elle
l'ouvrit et en renifla le contenu. Elle ne put réprimer une grimace de dégoût,
réaction qui n'échappa pas à Richard.
— Qu'est-ce que
ça sent, m'man ? demanda-t-il en s'approchant de sa mère.
— La senteur est
pas importante, s'empressa-t-elle de lui répondre en rebouchant la bouteille.
— Est-ce que je
peux sentir?
— Il y a rien à
sentir. De toute façon, ça goûte rien. À partir de demain matin, tout le monde
va en prendre une cuillerée avant de partir pour l'école.
— Ah non!
s'exclama Denise. Moi, je suis pas malade.
— Moi non plus,
affirma Jean-Louis.
— C'est pas quand
on est malade qu'on prend ça, bandes de sans-dessein, les réprimanda leur mère.
On prend ça pour pas être malade.
— Pourquoi mémère
nous apporte pas des vrais cadeaux à la place ? demanda Richard.
— Toi, pas un
mot, le rabroua sa mère. Je te garantis que tu vas en prendre comme les autres.
Devant la
réaction unanime de ses enfants, Laurette s'en prit à Gérard au sujet du fameux
cadeau laissé par sa mère. En enfilant sa robe de nuit, elle lui dit, à voix
basse :
— Je la retiens,
ta mère, avec son huile de foie de morue. Ça va être le fun encore de se battre
avec les enfants
tous les matins
pour leur faire avaler cette cochonnerie-là.
— C'est pas une
cochonnerie, c'est un remède.
— Bonyeu, on
prend des remèdes quand on est malade, pas quand on est en santé ! s'emporta
Laurette, en répétant sans s'en rendre compte ce qu'avaient dit ses aînés. En
tout cas, je t'avertis, Gérard Morin, si c'est pour faire un drame chaque fois
que je dois leur faire prendre ça, c'est toi qui vas leur faire avaler leur
cuillerée. C'est pas écrit sur la bouteille que
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