Des rêves plein la tête
pleut, mes articulations
me font mal. J'ai de la misère à bouger.
— C'est Colombe
qui doit trouver ça difficile de pas vous voir plus souvent, fit hypocritement
Laurette en laissant voir le doute sur son visage. Elle doit s'ennuyer de vous
sans bon sens...
— Qu'est-ce que
vous voulez, Laurette ? C'est ça, vieillir.
La semaine
précédente, Rosaire s'était arrêté quelques minutes chez les Morin et leur
avait appris que le couple venait rendre visite à leur fille Colombe chaque fin
de semaine depuis le début de l'été. Évidemment, il ne serait jamais venu à
l'idée de Laurette de se plaindre de la rareté des visites de sa belle-mère,
mais elle trouvait cela dommage pour son mari. Et elle ne voulait surtout pas que
Lucille la prenne pour une imbécile.
— Êtes-vous venus
en ville juste pour faire des visites de politesse ? demanda-t-elle au moment
où Carole quittait sa chambre après une courte sieste.
— Non. Je suis
obligé de venir remplir des papiers à Montréal, répondit son beau-père en
allumant sa pipe. J'ai un rendez-vous à cinq heures.
— Mon mari prend
sa retraite dans une semaine, expliqua Lucille.
— Déjà !
s'exclama sa bru.
— J'ai
soixante-cinq ans. Je pense que j'ai gagné de me reposer un peu, expliqua
Conrad sans grand enthousiasme.
— Avez-vous une
idée de ce que vous allez faire de votre temps ?
— Je pense que je
vais me contenter de me bercer et de lire le journal, les pieds sur la bavette
du poêle, répondit
l'homme avec le
sourire... à moins que ta belle-mère me trouve toujours quelque chose à faire
dans la maison. J'aime autant te dire qu'en prenant ma retraite, je lâcherai
pas le plus dur de mes boss.
— Conrad ! le
rappela à l'ordre sa femme, l'air sévère. Pendant que j'y pense, Laurette, je
vous ai apporté quelque chose pour les enfants, reprit Lucille en s'emparant du
grand sac à main qu'elle avait déposé à ses pieds.
Sa bru eut un
brusque mouvement de surprise. De mémoire, c'était sûrement la première fois
que la grand-mère Morin offrait quelque chose à ses petits-enfants.
Habituellement, elle ne s'en préoccupait guère et c'était à peine si elle se
souvenait de leur prénom. Jean-Louis, son filleul, n'était pas plus favorisé
que les autres. Son comportement froid et indifférent à l'égard de ses
petits-enfants était d'autant plus évident que leurs grands-parents Brûlé les
comblaient d'affection chaque fois qu'ils les voyaient.
Lucille tira de
son sac une grande bouteille remplie d'un liquide ambré qu'elle déposa au
centre de la table.
— Qu'est-ce que
c'est, madame Morin ?
— De l'huile de
foie de morue. C'est de l'huile de première qualité, à part ça. Si vous voulez
que vos enfants traversent l'hiver sans rien attraper, faites-leur en prendre
une cuillerée à soupe chaque matin. Vous allez voir, il y a rien de meilleur.
— Vous auriez pas
dû dépenser pour ça, protesta Laurette en jetant un œil méfiant à la bouteille.
— Elle m'a rien
coûté, admit Lucille. Le mari d'une partenaire de bridge travaille pour une
compagnie pharmaceutique. Elle me l'a donnée.
— En tout cas,
vous êtes ben fine d'avoir pensé aux petits... Pourquoi vous revenez pas souper
avec nous autres après être allé remplir vos papiers, monsieur Morin ?
demanda-t-elle en
changeant de sujet de conversation. Je suis sûre que ça ferait ben plaisir à
Gérard.
— T'es ben fine,
mais je sais pas jusqu'à quelle heure je vais être obligé de rester là-bas.
— Attendez au
moins que Gérard soit revenu de l'ouvrage avant de partir.
Prétextant
qu'ils-risquaient de rater le rendez-vous de Conrad, les Morin quittèrent la
maison quelques minutes avant l'arrivée des enfants. Après leur départ, leur
bru déposa la bouteille d'huile de foie de morue sur le comptoir et se mit à
préparer le souper.
Denise fut la première
à rentrer, suivie de près par Richard et Gilles.
— Il neige !
s'écria Richard, tout excité, en posant le pied dans la maison. Est-ce que je
peux aller jouer un peu dehors avant qu'il fasse noir ?
— Il en est pas
question, trancha sa mère. Va te changer comme les autres et viens t'installer
à table pour commencer tes devoirs. Grouille !
Le cadet s'était
résigné à fréquenter l'école, même s'il continuait à dire haut et fort qu'il la
détestait. Comme il était
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