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Des rêves plein la tête

Des rêves plein la tête

Titel: Des rêves plein la tête Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel David
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ça doit être pris le matin,
cette affaire-là. Ça peut être le soir. Je suis tannée d'être la seule à
m'obstiner avec eux pour leur faire faire des choses qu'ils aiment pas.
     
    Le lendemain
matin, le hasard voulut que Richard soit le premier à qui sa mère présenta
"la cuillère qu'elle venait de remplir du liquide épais.
     
    — Tiens, avale ça
avant de partir, lui ordonna-t-elle. Le gamin sentit d'abord et eut un geste
instinctif de
     
    recul.
     
    — Je suis pas
capable, m'man. Ça sent trop mauvais.
     
    — Bouche-toi le
nez et avale, maudit fatigant !
     
    — Ça me donne mal
au cœur.
     
    Laurette avança
la cuillère contre ses lèvres.
     
    — Envoyé, qu'on
en finisse ! fit-elle en haussant le ton. Ça sent mauvais, mais ça goûte rien.
C'est bon pour la santé.
     
    Richard ferma les
yeux, ouvrit la bouche et desserra les dents. Sa mère en profita pour enfourner
la cuillère dans sa bouche à demi ouverte. Il déglutit, eut un haut-le-cœur et
se précipita vers le lavabo où il rendit son déjeuner.
     
    — Va t'essuyer la
bouche dans la salle de bain, commanda une Laurette hors d'elle-même. Tu vas en
reprendre une autre, lui promit-elle. Arrive, Gilles. C'est à ton tour.
     
    Gilles s'approcha
de sa mère en faisant montre de bonne volonté, mais il était évident qu'il
combattait déjà une nausée.
     
    — J'espère que tu
me feras pas des dégâts comme ton frère.
     
    Gilles acquiesça
d'un signe de tête et sa mère fit couler à nouveau l'huile de foie de morue
dans sa cuillère, prête à lui faire subir le même traitement. A ce moment-là,
elle jeta un coup d'œil à Denise et à Jean-Louis, devenus pâles tous les deux,
attendant nerveusement d'ingurgiter à leur tour le médicament tant redouté.
     
    — Bon ! Ça va
faire ! déclara tout net la mère de famille en jetant dans l'évier le contenu
de la cuillère destiné à Gilles. Allez-vous en à l'école. Je vous ai assez vus.
Mais je vous avertis. Je veux pas en voir un venir se plaindre qu'il est malade
pendant l'hiver.
     
    Ses enfants se
précipitèrent sur leurs manteaux et leur sac d'école, heureux d'échapper à
l'huile de foie de morue.
     
    — Comme ça, moi,
je suis le seul niaiseux qui a été poigné à prendre cette cochonnerie-là ? fit
Richard, encore tout blême d'avoir vomi son repas du matin.
     
    — Attends, fit sa
mère, prise de pitié pour son cadet. Laurette se dirigea dans sa chambre et en
revint avec
     
    deux chocolats
tirés de la boîte qu'elle avait reçue de Gérard à l'occasion de leur treizième
anniversaire de mariage.
     
    — Tiens, dit-elle
en les lui tendant. Tu mangeras ça en t'en allant à l'école. Ça va te faire du
bien.
     
    Richard la
remercia d'un grand sourire et quitta la maison en compagnie de Gilles. Sans
hésiter, il tendit un chocolat à son frère avant de mordre dans l'autre.
     
    Après le départ
des enfants, la bouteille d'huile de foie de morue fut déposée dans la
pharmacie familiale et il n'en
     
    fut plus
question. Gérard remarqua que le niveau de liquide dans la bouteille ne
baissait guère, mais se garda bien de s'informer à ce sujet, probablement de
peur d'hériter de la corvée de faire avaler quotidiennement l'huile à ses
enfants.
     
    Les premiers mois
de 1946 ne réservèrent aucune mauvaise surprise aux Morin. Jean-Louis attrapa
une bonne grippe, et Laurette dut le garder à la maison pendantv quelques
jours. Richard tenta de faire croire qu'il était aussi malade que son frère,
mais Laurette ne tomba pas dans le piège et l'envoya à l'école sous la
supervision de Gilles. La neige et le froid furent évidemment au rendez-vous,
mais sans égaler les records établis les années précédentes. Comme chaque
année, Laurette s'inquiéta bien un peu de la baisse alarmante du tas de charbon
dans la cave, mais à la fin du mois de mars, tout indiquait qu'ils auraient
suffisamment de combustible pour terminer l'hiver.
     
    — Je pense qu'on
va être bons pour faire encore un bon mois, annonça-t-elle à son mari au moment
où elle terminait de laver la vaisselle ce soir-là. On a encore pas mal de charbon
et il nous reste presque la moitié du drum d'huile à chauffage. Ça tombe ben.
J'ai presque plus une cenne de côté à cause des bottes neuves que j'ai dû
acheter aux enfants la semaine passée.
     
    — D'abord qu'on
arrive, fit Gérard avec insouciance, s'en remettant comme toujours à sa
compagne pour gérer les finances

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