Des rêves plein la tête
jeunes se parlent d'un balcon à l'autre
devant tous les voisins.
Un soir du mois
de juillet, la jeune fille rentra à la maison tout excitée après une promenade
au bras de Gérard. Elle retrouva son père et sa mère assis sur le balcon à
l'arrière de l'appartement, à la recherche du moindre souffle d'air frais.
— Bon. Qu'est-ce
qui t'arrive encore ? lui demanda sa mère.
— Savez-vous ce
qui va se construire au coin de Dufresne et de De Montigny, m'man ?
— Il va se
construire quelque chose là ?
— Oui. On vient
de parler à un homme qui travaillait là. Ils sont en train de creuser.
— Puis? demanda
son père en retirant sa pipe de sa bouche.
— Ça va être un
bain, p'pa ! Un bain comme le bain Laviolette, au coin de De Lorimier. Il
paraît que ça va s'appeler le bain Quintal et qu'il va être prêt l'année
prochaine.
— En v'là une
affaire, fit sa mère, peu impressionnée. Une place où des hommes et des femmes
vont se laver en même temps que des purs étrangers. Ouach !
— Mais m'man, les
hommes et les femmes y vont pas le même jour.
— Puis après,
c'est pas tellement mieux, rétorqua sa mère. A part ça, se baigner dans la même
eau que du monde que tu connais même pas, ça donne mal au cœur rien que d'y
penser.
En fait, Laurette
n'avait eu ce soir-là que la confirmation de ce que son amie Suzanne lui avait
appris la veille avec un enthousiasme qu'elle n'avait pas compris.
— Ça t'énerve pas
parce que t'es jamais allée te baigner au bain Laviolette, avait dit son amie,
piquée par son indifférence. T'essaierais ça une fois et tu voudrais y
retourner tous les jours, avait-elle assuré. J'y suis allée avec ma cousine la
semaine passée. Je te dis que c'est l’fun.
— Quand bien même
que ma mère accepterait que j'y aille, j'ai pas de costume de bain, avait
rétorqué Laurette.
— J'en ai deux.
Je pourrais t'en passer un. J'ai aussi un autre casque de bain. Envoyé !
Demande la permission à ta mère. Jeudi, c'est le jour des femmes. On pourrait y
aller de deux heures à trois heures. On a juste à apporter notre costume de
bain et une serviette. Il y a des cabines pour se changer.
Laurette laissa
passer un long moment avant de se décider à demander la permission à sa mère.
— M'man, Suzanne
va souvent au bain Laviolette, au coin de De Montigny et de De Lorimier. Elle
dit que l'eau est ben propre et qu'il y a pas de danger.
— C'est elle qui
le dit, fit sa mère en s'essuyant le front avec son mouchoir.
Même si le soleil
était en train de se coucher, la chaleur était encore désagréable.
— J'aimerais ça y
aller au moins une fois, finit par dire la jeune fille sur un ton légèrement
suppliant. Je sors jamais de la maison. Il me semble que ça me ferait du bien
d'aller me baigner là une fois. On passe nos journées à cuire dans notre jus.
— Cette
patente-là est une affaire de fou, fit remarquer Annette, mécontente. C'est pas
parce que Suzanne Tremblay a la permission de sa mère d'y aller que tu dois
faire la même chose.
— Envoyez donc,
m'man ! insista la jeune fille.
— A part ça, t'as
même pas de costume de bain.
— Suzanne en a
deux. Elle est prête à m'en passer un.
— Tiens ! On
dirait ben que vous avez déjà tout organisé comme si t'étais sûre d'avoir la
permission, rétorqua sa mère d'une voix acide. Tu sais ben que t'entreras
jamais dans son costume de bain.
— Je suis pas si
grosse que ça, vous saurez, répliqua sa fille, piquée au vif par la remarque.
J'arrête pas de maigrir depuis le commencement de l'été.
Annette jeta un
coup d'œil vers Honoré, comme pour lui demander son aide. Son mari,
imperturbable, se contenta de continuer à fumer sa pipe sans se mêler de la
discussion.
— Toi, qu'est-ce
que t'en penses ? finit-elle par lui demander, ulcérée de constater qu'il lui
laissait, encore une fois, le mauvais rôle.
— D'après moi,
elle risque pas grand-chose d'essayer ça, laissa-t-il tomber. Elle en mourra
pas d'y aller une fois.
— C'est ben ça,
dit Annette. La petite fille à son père a encore eu ce qu'elle voulait. En tout
cas, toi, si t'attrapes une maladie en allant te tremper dans cette eau sale
là, viens pas te plaindre, conclut la mère.
Laurette rentra
dans la maison, heureuse de sa victoire.
Durant la nuit,
le ciel se couvrit de lourds nuages, mais la
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