Des rêves plein la tête
en
servirez pour calfeutrer. Quand vous mettrez les jalousies dans le hangar,
placez-les comme du monde pour qu'on les ait pas dans les jambes jusqu'au
printemps prochain.
Les deux frères
se mirent au travail. Laurette s'était installée dans la cour avec un seau
d'eau et nettoyait avec soin chaque contre-fenêtre avant que l'un de ses frères
vienne la prendre pour l'installer après avoir déposé les vieilles persiennes
vertes au fond du hangar.
Après avoir lavé
les deux premières fenêtres, la jeune fille traversa la maison et alla se
planter, debout sur le trottoir, devant chacune, pour voir si le travail avait
été bien exécuté. Lorsqu'elle aperçut de nombreuses empreintes de doigts dans
la fenêtre du salon, elle chercha à les effacer avec son chiffon. Il lui fut
impossible de les enlever. Elle appela Armand et Bernard occupés à retirer les
persiennes de la fenêtre de sa chambre, dans le passage voûté.
— Regardez ce que
vous avez fait à mes vitres propres ! s'écria-t-elle, mécontente.
— T'as juste à
les essuyer, suggéra Bernard, frondeur.
— C'est en-dedans
que c'est sale, innocent ! s'emporta Laurette. Tu vas aller me nettoyer ça tout
de suite, tu m'entends ? J'ai pas lavé ces vitres-là pour rien.
— Tout à l'heure,
si j'ai le temps, répliqua le cadet à qui la moutarde commençait à monter au
nez. Viens pas faire le boss avec moi, Laurette Brûlé ! Tu me fais pas peur.
CHÈRE LAURETTE
— Mon petit
maudit baveux! Attends que... Annette apparut dans l'encadrement de la porte
d'entrée
au moment où le
frère et la sœur allaient s'empoigner.
— Laurette ! Ça
va faire ! ordonna-t-elle sèchement à sa fille. Veux-tu que toute la rue
connaisse ton caractère ? Arrête de crier ! Vous autres, ajouta la mère de
famille en se tournant vers ses fils, vous allez faire plus attention aux
vitres qui viennent d'être lavées. Vous êtes pas aveugles. Si vous voyez des
marques, essuyez-les avant d'installer les fenêtres.
Laurette arracha
son chiffon des mains de Bernard et rentra dans la maison derrière sa mère en
faisant claquer rageusement la porte.
— Ça vaut ben la
peine de se désâmer à faire des vitres propres avec ces gnochons-là ! dit-elle
avec mauvaise humeur.
— Fais donc pas
une montagne avec rien, lui conseilla sa mère. Arrête de chialer pour des
niaiseries et contrôle ton petit caractère.
A son retour du
travail, cet après-midi là, Honoré se rendit compte que l'appartement avait
déjà revêtu l'aspect coutumier qu'il prenait chaque hiver. Il remarqua aussi
bien la disparition de la porte moustiquaire que l'installation des
contre-fenêtres qui avaient été calfeutrées.
— Je pense qu'il
reste plus qu'à faire entrer une dizaine de poches de charbon de chez Bégin
pour qu'on soit prêts à hiverner, dit-il à sa femme en allumant sa pipe.
— J'enverrai
Armand s'en occuper la semaine prochaine. Quand est-ce que t'as l'intention de
faire ferrer Prince ?
Faire ferrer le
cheval à neuf était une dépense à laquelle le couple devait se résigner chaque
automne.
— J'ai regardé
ses fers. Je pense que cette année ils vont durer jusqu'au printemps.
Annette se mordit
la lèvre et s'abstint de répliquer. Elle s'attendait déjà à cette décision de
son mari, tant l'argent se faisait de plus en plus rare en cette période de
crise.
Chapitre 3
Les
fréquentations
L'hiver 1931
laissa le souvenir d'un cauchemar sans fin à beaucoup de Montréalais. La misère
générée par la crise économique fut rendue encore plus pénible par les vagues
de froid polaire succédant aux nombreuses tempêtes de neige qui paralysèrent
souvent la vie de la métropole. Durant tout l'hiver, les journaux ne parlèrent
que de fermetures d'usine et de faillites à répétition. Les chansons
entraînantes de la Bolduc ne parvinrent pas à faire oublier la faim qui
sévissait dans la population.
Chez les Brûlé,
on se serra encore plus la ceinture qu'à l'ordinaire. Honoré ne rapportait plus
à la maison que cinquante ou soixante cents chaque jour, tant sa clientèle
avait diminué durant les grands froids. Ses fils ne parvenaient à se trouver
qu'une ou deux journées de travail par semaine, le plus souvent comme livreurs
de charbon chez Bégin, rue D'Iberville. Lorsque Laurette proposa de se chercher
elle aussi un travail pour venir en aide à la famille, la
Weitere Kostenlose Bücher