Des rêves plein la tête
devait
faire, mais n'avait finalement pas eu le courage d'aborder le sujet. Si Suzanne
était demeurée près de chez elle, elle aurait pu lui poser des questions, mais
elle avait déménagé à Longueuil. Elle n'allait tout de même pas l'interroger le
jour de son mariage.
— J'aurais eu
l'air d'une vraie niaiseuse, se dit-elle à mi-voix en battant quatre œufs dans
un bol en grès.
A la pensée de ce
qui l'attendait, elle devenait nerveuse. Les très vagues renseignements qu'elle
possédait sur le sujet provenaient d'allusions plus ou moins claires saisies au
détour d'une conversation entre les femmes mariées de la famille. Ce n'était
évidemment pas assez pour se sentir en confiance. La nouvelle épouse se sentait
désarmée face à tout ce qui concernait l'amour physique et elle aurait donné
une fortune pour savoir comment se comporter. Au fond d'elle-même, elle
espérait que Gérard se soit mieux renseigné qu'elle.
Lorsque ce
dernier rentra, il trouva le couvert mis. Laurette servit le souper sans
attendre. Tout au long du
repas, la jeune
femme perçut l'impatience de son mari dans chacun de ses gestes. Cela la rendit
encore plus craintive.
— Est-ce qu'on va
se coucher? finit par suggérer le jeune homme dès que sa femme eut terminé le
lavage de la vaisselle.
— Il est même pas
sept heures, protesta Laurette. Tu y penses pas. Moi, je m'endors pas pantoute.
— Mais je pensais
pas à dormir non plus, dit Gérard en la prenant par la taille.
Laurette se
rendit compte qu'il ne servait à rien de se débattre contre l'inévitable et se
résigna à remplir ce que le curé Monette avait appelé le matin même «son devoir
d'épouse ».
— Bon. Si t'es
plus capable d'attendre, fit-elle, fataliste. Laisse-moi au moins un peu de
temps pour me préparer. Tu viendras me rejoindre tout à l'heure dans la
chambre.
Sur ces mots,
elle quitta la cuisine et se dirigea vers la chambre située face au salon. Elle
retira le couvre-lit en chenille rose, enleva sa robe, la rangea avec soin et
s'empressa de revêtir sa robe de nuit. Elle éteignit la lumière avant de se
glisser sous la courtepointe. Étendue dans le noir, elle attendit, épiant le
moindre bruit fait par son mari demeuré dans la cuisine.
Elle l'entendit
soudain jeter du charbon dans la fournaise du couloir et la porte de la chambre
s'ouvrit lentement un instant plus tard.
— Dors-tu?
demanda-t-il.
— Non. Mais
allume pas la lumière, si ça te dérange pas, répondit Laurette avec une petite
voix qu'elle eut du mal à reconnaître.
Devant le
consentement de son mari à protéger cette intimité, la jeune madame Morin
comprit que son Gérard n'avait pas plus d'assurance qu'elle.
Chapitre 6
Les beaux-parents
Durant les
semaines qui suivirent son mariage, Laurette s'occupa à tout ranger dans son
appartement et s'attacha à prouver à Gérard qu'elle était une femme d'intérieur
accomplie. Chaque soir, à son retour du travail, le magasinier trouvait son
repas prêt et la maison d'une propreté irréprochable. Après le souper, le jeune
couple écoutait la radio ou allait veiller quelques heures chez Annette et
Honoré Brûlé.
Au début du mois
de février, la jeune femme se réveilla un matin le cœur au bord des lèvres.
Elle ouvrit les yeux dans le noir sans se décider à se lever dans l'appartement
glacial. Pendant un bon moment, elle demeura sans bouger, attendant que cette
nausée inexplicable disparaisse d'elle-même. Un coup d'œil aux chiffres phosphorescents
du gros réveille-matin Westclock lui apprit qu'il n'était que cinq heures
quinze. Elle pouvait encore jouir de la tiédeur du lit durant quinze minutes
avant d'avoir à se lever pour préparer le déjeuner de son mari endormi à ses
côtés.
Mais la nausée,
loin de disparaître, se fit plus insistante, au point de la pousser à rejeter
les couvertures et à se précipiter vers les toilettes.
— Veux-tu ben me
dire ce que j'ai ? se demanda-t-elle à mi-voix quelques instants plus tard,
toute grelottante après avoir été malade. J'ai pourtant rien mangé d'indigeste.
Elle s'empressa
d'allumer le poêle à huile de la cuisine avant d'aller vider la moitié d'un
seau de charbon dans la fournaise du couloir qui ne contenait plus que des
braises. Pendant un bref moment, elle balança entre commencer à préparer le
déjeuner ou retourner se coucher durant encore une dizaine de
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