Des rêves plein la tête
première nécessité qu'ils allaient
devoir acheter, pour finir par s'entendre sur le prénom que leur fille ou leur
garçon porterait. Gérard ne pouvait s'empêcher de regarder sa femme avec une
fierté non déguisée.
Cette soirée de
février allait demeurer longtemps parmi les meilleurs souvenirs de Laurette.
— Ils doivent
être à la veille d'arriver, dit Gérard en écartant le rideau masquant la
fenêtre de la porte d'entrée pour mieux scruter la rue Emmett.
Le soleil encore
timide du mois de mars avait entrepris de faire fondre les amas de neige
laissés par l'hiver. L'eau de fonte formait dans la rue de larges mares que les
passants devaient contourner précautionneusement. Des jeunes du quartier, armés
de pelles et de pics, s'amusaient à briser les îlots de glace résistant encore
sur la chaussée pour favoriser l'écoulement de l'eau dans les caniveaux. Plus
loin, au coin de la rue, des adolescents goguenards, cigarette au bec, les
encourageaient.
— Viens donc
t'asseoir dans la cuisine, suggéra Laurette à son mari en apparaissant à l'entrée
du couloir.. C'est pas en restant planté devant la porte que tu vas les faire
arriver plus vite. Il est même pas dix heures et demie.
— Je me demande
si je leur ai ben expliqué le chemin, dit Gérard en revenant dans la cuisine.
— Je pense que
c'était clair. C'est sûr qu'ils auraient moins de misère à nous trouver
aujourd'hui s'ils avaient accepté de venir voir le logement quand on les a
invités cet hiver.
Quatre mois après
son mariage, Laurette Morin avait pris de l'assurance et un peu de poids. Le
visage plus rond et la taille légèrement épaissie, la jeune femme attendait
sans grand plaisir la visite de ses beaux-parents, prévue depuis un peu plus
d'une semaine. Depuis la célébration des noces, elle ne les avait revus qu'au
jour de l'An, et cela lui avait amplement suffi.
Lucille et Conrad
Morin avaient tellement insisté pour que le jeune couple vienne célébrer
l'arrivée de 1933 en leur compagnie, à Saint-Hyacinthe, qu'elle avait incité
son mari à accepter l'invitation. Elle n'avait jamais tant regretté une
décision. Sa belle-mère s'était montrée particulièrement déplaisante et, pire,
sa fille Colombe n'avait guère été plus aimable. L'une et l'autre n'avaient pas
cessé de lui faire des remarques sur ses manières, allant même jusqu'à faire allusion
à son possible manque de goût dans sa façon de se vêtir. Sentant que sa femme
était sur le point d'exploser, Gérard avait fini par donner le signal du départ
à la fin de l'après-midi, refusant obstinément de rester souper.
Or, au début du
mois de février, le jeune homme n'avait pu s'empêcher d'annoncer fièrement dans
une lettre adressée à ses parents que Laurette et lui attendaient leur premier
enfant pour la fin de l'été. S'il se fiait à la réponse de sa mère, son père
était transporté à l'idée qu'il y aurait bientôt une nouvelle génération de
Morin. Évidemment, la suite était prévisible. L'un et l'autre désiraient venir
féliciter les futurs parents.
— En tout cas,
j'aime autant t'avertir tout de suite, dit Laurette à son mari en retirant son
tablier. Si ta mère ou ta sœur m'envoie un fion, je vais leur répondre assez
bête
qu'elles vont
comprendre. Elles viendront pas m'insulter chez nous. Je me souviens encore du
jour de l'An, moi.
— Commence pas à
t'énerver avant que le monde arrive, cybole ! Laisse-leur au moins une chance
d'ôter leur manteau avant de leur sauter dessus.
Au même moment,
on sonna à la porte. Gérard se précipita pour aller ouvrir. Avant même que
Laurette ne l'ait rejoint, Lucille, Colombe et Conrad avaient pénétré dans le
couloir et Gérard refermait la porte derrière eux.
— Sacrifice ! On
a eu de la misère à vous trouver, déclara Conrad après avoir déposé un léger
baiser sur la joue de sa bru.
— C'est une
petite rue ben tranquille, fit remarquer Gérard en prenant possession des
manteaux des visiteurs pour aller les déposer sur le lit de la chambre à
coucher.
— Et c'est
surtout proche de la Dominion Rubber, ajouta Laurette après avoir embrassé du
bout des lèvres sa belle-mère et sa belle-sœur. Venez vous asseoir dans la
cuisine. On va pouvoir parler pendant que je finis de préparer le dîner.
— La Dominion
Rubber ! Est-ce que c'est cette compagnie-là qui sent si mauvais ? demanda
Lucille en
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