Des rêves plein la tête
minutes. Elle
s'avança vers la porte d'entrée pour scruter la petite rue Emmett après avoir
soulevé le rideau masquant la fenêtre de la porte. Il n'avait pas neigé durant
la nuit, mais le froid intense avait déposé une épaisse couche de givre sur la
vitre.
Lorsque Gérard
s'approcha pour déjeuner après avoir fait sa toilette, elle constata qu'elle
avait faim, comme d'habitude à cette heure de la journée, et elle mangea sans
éprouver le moindre malaise.
Les jours
suivants, le même scénario se reproduisit chaque matin et la jeune madame Morin
commença à s'inquiéter sérieusement sur son état de santé. Avant la fin de la
semaine, elle prit la décision d'en parler à son mari, même si la perspective
d'aller consulter un médecin n'avait rien d'attirant. Elle gérait les finances
familiales et savait fort bien qu'ils pouvaient difficilement se payer ce luxe.
Le hasard voulut
que ce jour-là sa mère s'arrête pour la saluer en passant. On était le jeudi
avant-midi et le jeune couple n'était pas allé rendre visite aux Brûlé depuis
le samedi précédent.
— Mon Dieu ! je
te croyais morte, plaisanta Annette en retirant ses bottes sur le paillasson.
Ça fait presque une semaine qu'on vous a pas vus à la maison.
— Ben non, m'man,
on n'est pas morts, la rassura sa fille en l'entraînant vers la cuisine où elle
lui servit une tasse de thé bouillant. Gérard rentre ben fatigué de ses
journées d'ouvrage et il a pas ben le goût de sortir après le souper.
— Je comprends
ça, fit sa mère, mais toi ?
Il y eut un
moment de silence dans la pièce pendant que Laurette prenait place à table, en
face de sa mère.
— Moi, je sais
pas pantoute ce que j'ai, finit-elle par dire en masquant mal son inquiétude.
Depuis lundi matin, je me lève tous les jours avec le mal de cœur.
— T'as mal au
cœur ? Tous les matins ? demanda Annette en l'examinant.
— Oui.
Laurette vit le
visage de sa mère s'illuminer brusquement d'un large sourire.
— Es-tu bien sûre
que t'es pas en famille ? lui demanda-t-elle en réprimant difficilement sa
joie.
— Hein ! En
famille ? demanda sa fille, stupéfaite. Mais...
— Voyons,
Laurette ! s'exclama sa mère. T'es une femme mariée. Tu dois bien te douter que
tu vas finir par avoir un petit un jour ou l'autre.
—Je le sais ben,
m'man, protesta sa fille. Je suis pas niaiseuse à ce point-là. Mais je pensais
pas que ça pourrait arriver aussi vite. On vient juste de se marier.
— Ça, ma fille, c'est
le bon Dieu qui décide, pas nous autres. Regarde ta tante Rose. Elle est mariée
depuis presque seize ans et elle a jamais pu avoir un petit, même si elle en a
toujours voulu un.
— De toute façon,
c'est pas sûr pantoute, reprit Laurette qui ne savait pas si elle devait se
réjouir ou non d'une telle nouvelle.
— Pour moi, t'es
mieux d'aller voir le docteur Lemaire pour le savoir, lui conseilla Annette.
— Je vais y
penser, m'man.
— Fais plus qu'y
penser, lui recommanda sa mère. Perds pas trop de temps.
Après le départ
de sa mère, la jeune femme décida d'en avoir le cœur net le jour même. Elle ne
le lui avait pas dit,
mais elle ne
voulait pas aller voir le docteur Lemaire, le vieux médecin de famille qui
l'avait mise au monde.
Elle s'habilla
chaudement et traversa à l'épicerie Comtois, au coin de la rue, pour téléphoner
à son amie Suzanne qui lui avait parlé d'un médecin plus moderne lorsqu'elle
était venue la visiter à la mi-décembre. Quelques minutes plus tard, elle
rentra satisfaite à la maison. Suzanne lui avait communiqué le numéro de
téléphone du docteur Miron et elle avait obtenu un rendez-vous à une heure,
l'après-midi même.
Étrangement, la
jeune femme était de plus en plus excitée à l'idée d'avoir son premier enfant,
excitée au point de s'abstenir de dîner pour se préparer à aller au bureau du
praticien situé rue Papineau.
Laurette se
présenta à son rendez-vous près de trois quarts d'heure avant l'heure fixée. A
son arrivée, la petite salle d'attente, meublée d'une douzaine de chaises et
d'une table basse, était vide. La secrétaire préposée à l'accueil des patients
lui fît remarquer qu'elle était très en avance et que le docteur était parti
dîner.
— Je vais
l'attendre, déclara Laurette en déboutonnant son lourd manteau d'hiver sans
toutefois l'enlever.
Elle
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