Dieu et nous seuls pouvons
Trouvé ? Ils sont inscrits sur des registres
particuliers. A l’époque, il y en avait tellement que c’était plus pratique.
Le Trouvé intéressant Malzac était
le dix-septième du registre 1663. Il l’identifia avec certitude au prénom,
Justinien, l’unique du registre, et surtout aux observations :
Trouvé le 10 juin de l’An de Grâce 1663, au pied de la
statue du fondateur. Nez coupé. Baptisé le jour même et mis en nourrice chez la
femme Coutouly, 5, rue du Pompidou, Roumégoux.
— Encore une affaire de gagnée,
se dit l’avocat en recopiant.
Chapitre IV
Bellerocaille, le samedi 13 mai
1906.
Léon Trouvé immobilisa la charrette
et attendit que Saturnin saute à terre et prenne le gros pain rond glissé sous
le siège.
— Dis-lui que je passerai au
retour, maugréa-t-il dans ses moustaches en donnant un coup de menton vers
l’oustal.
Saturnin serra le tourto contre sa
poitrine et marcha de son pas raide vers le grand portail. Léon le suivit des
yeux pendant un instant. Il ne parvenait pas à l’aimer et se défiait de sa
réserve, excessive pour un gamin de dix ans. « L’eau dormante fait les
mauvais ruisseaux, disait sévèrement Hortense. On ne sait jamais ce qu’il
pense, c’est un sournois dont il vaut mieux se méfier. » Mais même Léon
était d’avis que sa femme était si mauvaise langue qu’elle s’empoisonnerait un
jour avec sa propre salive.
Avant de s’éloigner, il le vit
ouvrir l’un des vantaux et entrer.
Les relations avec son père ne s’étaient
guère améliorées depuis que maître Malzac avait contraint la chancellerie à
revenir sur sa décision en l’autorisant à se nommer Trouvé. Le
« secret » des Pibrac ainsi livré en pâture et le livre Le Métier
dans le sang publié deux ans plus tôt par l’avocat n’avaient en rien
contribué à adoucir la rancœur d’Hippolyte envers son fils, qu’il n’appelait
plus que « le Félon ».
« Le Félon » s’était
rebiffé en prononçant des paroles qu’il avait regrettées aussitôt après :
« Quand vous aurez trépassé, car vous trépasserez un jour, je deviendrai
le maître de l’oustal, et alors je ferai tout démolir. Jusqu’à la dernière
pierre. Que plus rien ne rappelle qui a vécu ici et ce qui s’y est passé durant
près de trois siècles. » Peut-être alors le préjugé qui gâchait son
existence finirait-il par disparaître.
Peu de temps après son imprudente
déclaration, il apprit que son père avait adressé une requête à l’Inventaire
général des richesses de l’art de la France pour que l’oustal soit classé
monument historique.
*
Saturnin posa le pain contre le mur
pour refermer des deux mains le lourd vantail. Ce mouvement lui procurait
chaque fois un plaisir renouvelé. Ici il était chez lui, à sa place.
Il reprit le tourto et marcha
jusqu’à la cour. Près du puits, il vit la jument et le cabriolet de Calzins, le
vieux notaire. Son grand-père avait de la visite. La cuisine étant vide, il
glissa le tourto dans le râtelier à pain fixé au mur.
— Bonjour, grand-père, bonjour,
monsieur Calzins, dit-il tout en flanquant un coup de pied à la poule qui
l’avait suivi en haut de l’escalier.
Assis à la grande table de chêne,
Hippolyte mangeait des radis en compagnie de l’ancien notaire qui avait passé
la main à son fils, Guy Calzins, devenu l’adjoint du maire Barthélémy Boutefeux
(« Les Boutefeux ont trouvé le moyen de redevenir les seigneurs de
Bellerocaille », persiflaient leurs adversaires politiques). Comme chaque
mois, le vieil homme était venu chercher son exonge, cette panacée contre les
rhumatismes que seuls les bourreaux savaient préparer à partir d’un pourcentage
tenu secret de graisse humaine prélevée sur des corps de criminels. Plus grand
était le crime commis, plus efficace était l’onguent. Il existait ainsi de
l’exonge de parricide, de matricide, d’infanticide, de l’exonge de chauffeur de
paturons (idéal pour les brûlures) et même de l’exonge de sodomite, très
efficace contre les hémorroïdes.
A ceux qui s’étonnaient qu’Hippolyte
puisse encore disposer de matière première alors qu’il n’officiait plus depuis
près de quarante ans, celui-ci rétorquait qu’après deux décennies d’office et
deux cent huit exécutions, ses stocks étaient pratiquement inépuisables. Sans
parler des réserves accumulées par les ancêtres. Ne restait-il pas
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