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Dieu et nous seuls pouvons

Dieu et nous seuls pouvons

Titel: Dieu et nous seuls pouvons Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Folco
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toujours des gloussements
railleurs.
    Saturnin sortit d’un tiroir du
buffet son cahier, son plumier et son buvard et s’attabla, en souhaitant que
l’interrogation ne porte pas sur les droits de havée qu’il connaissait mal.
    — Si on ajoute dix kilos
supplémentaires au mouton, combien de temps met le couperet pour tomber ?
    Le garçon se détendit : la
question était facile.
    — Le temps d’un demi-clin
d’œil.
    — Hum, hum, fit son grand-père
en lissant sa barbe. Ça, c’était facile. Maintenant, récite-moi les dix
principaux privilèges de la havée sous Justinien II.
    — Euh… la havée sous Justinien
le Deuxième s’exerçait comme sous le Premier, trois fois par semaine : le
lundi, le… euh ? le jeudi… non, le mercredi… et le samedi.
    Les sourcils d’Hippolyte se
froncèrent.
    — En es-tu certain ?
    Saturnin grimaça, indécis.
    — Quand on n’est pas certain,
c’est qu’on ne sait pas. Et quand on ne sait pas, on recommence tout.
    L’élève ouvrit le cahier, déboucha
l’encrier et y trempa sa plume d’acier.
    — Le terme « havée »
vient de l’ancien verbe « havir » qui signifiait « prendre avec
la main ».
    Hippolyte fit le geste de plonger sa
main dans un sac et de la ramener pleine.
    — C’est ce droit qui a fait la
fortune du Premier, pas les hautes œuvres.
    Poursuivant sa leçon d’économie,
Hippolyte insista sur l’équité de cet impôt qui épargnait les pauvres et ne
frappait que les artisans et les commerçants, ceux-là mêmes pour qui les lois
étaient faites. Il allait fustiger une fois de plus l’avaricieux Turgot,
responsable de son abolition, quand des bruits de sabots ferrés résonnèrent sur
les pavés de la cour. Bientôt Casimir entra, suivi de Griffu qui fonça droit
sur le garçon pour lui débarbouiller affectueusement le visage avec une langue
de la taille d’une serpillière.
    Le valet posa son fusil de chasse
sur une chaise et fit glisser de son épaule la gibecière d’où s’échappait la
tête d’un chiot qui se mit à japper en gigotant pour s’en extraire.
    — Il est rigolo, on dirait
qu’il a un coquard, dit Saturnin en montrant le cercle de poils noirs autour de
son œil droit.
    — Tu peux le caresser, tu peux
même le prendre, car il est à toi. Joyeux anniversaire, Saturnin !
    La joie du garçon transfigura son
visage trop souvent inexpressif.
     
    *
     
    La charrette alourdie par les sacs
de blé, Léon arriva en vue de l’oustal. Il ouvrit le portail sans enthousiasme,
appréhendant la pesante atmosphère qui présidait à chacune de ses rares
visites. Même Griffu semblait lui lancer des regards lourds de reproches… Oui,
vraiment, que tout cela disparaisse à jamais et qu’on n’en parle plus. Quant
aux ancêtres dans la crypte, l’abbé acceptait leur transfert au cimetière
Saint-Laurent, mais il ne voulait pas entendre parler de gisants et exigeait
que les cercueils soient placés dans un caveau anonyme. L’abbé était également
intraitable sur ceux de l’ancêtre fondateur et de Guillaumette, qu’il faudrait
désenchaîner. Ce dernier point chagrinait Léon qui, tout renégat qu’il était
devenu, n’en avait pas moins été élevé dans la tradition. Or, dans
celle-ci, le récit de l’amour sans faille de Justinien au nez de bois et de
Guillaumette lui avait tiré plus d’une larme. Les séparer lui paraissait relever
de la profanation.
    Léon ôta son chapeau avant d’entrer
dans la grande salle abondamment éclairée par les trois fenêtres. Il salua son
père d’un bref hochement de tête, celui-ci lui répondit de la même façon.
Casimir préféra lui tourner le dos. Assis sur le parquet, son neveu jouait avec
un chiot blanc et noir que Griffu reniflait avec bienveillance.
    — Quel mauvais vent
t’amène ?
    — C’est au sujet de l’oustal,
je…
    Comme pour Calzins, Hippolyte
l’interrompit d’un signe de main.
    — Si tu viens me demander de ne
pas représenter ma demande, épargne ta salive, c’est déjà fait.
    Ayant la réponse à la question qu’il
n’avait pas eu le temps de poser, Léon haussa les épaules avec fatalisme. Il
n’avait plus rien à faire ici.
    — Viens, nous partons, dit-il à
Saturnin qui se leva à regret, serrant le chiot dans ses bras.
    — N’oublie pas que pour en être
le maître, tu dois être seul à le nourrir, le prévint Casimir.
    — Et quand tu le puniras,
ajouta son grand-père, tu le frapperas avec un

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