Dieu et nous seuls pouvons
rien vu ni entendu et ignorait lequel des deux vieillards l’avait
assommé. Frôlant plusieurs fois l’embourbement, il parvint toutefois à regagner
Bellerocaille et son hôtel où il se confectionna avec un mouchoir une compresse
d’eau froide qui l’apaisa médiocrement.
*
Quand Malzac sortit de sa chambre et
prit la direction de la rue du Dragon, la pluie s’était arrêtée et un jour
blafard tentait vainement de percer des nuages gris.
— Quoi ? ! Vous avez
osé fouiller dans l’armoire ! s’exclama Léon. Croyez-moi, maître Malzac,
vous vous en tirez à bon compte… Ce doit être mon père qui vous a découvert,
car si ç’avait été Casimir, ce n’est pas une bosse, mais un trou dans la tête
que vous auriez à l’heure actuelle. Cela en valait-il au moins la peine ?
— J’ai pu lire une dizaine de
pages seulement, mais tout était dit dès la première : celui que vous
appelez l’ancêtre fondateur est en fait un enfant abandonné en bas âge et
baptisé Justinien Trouvé par ceux qui le découvrirent.
Le Premier, un enfant trouvé !
Léon hocha la tête d’un air incrédule.
— C’est lui-même qui l’écrit en
exergue, dit l’avocat en ajoutant : Il ne nous reste plus qu’à retrouver
le registre paroissial pour être en mesure d’exiger le rétablissement de votre
nom d’origine : Trouvé.
— Trouvé, Trouvé, répéta Léon
comme on essaie un chapeau devant une glace. Pourquoi s’est-il donc fait
appeler Pibrac ?
Soudain son visage se renfrogna.
— De toute façon, maître
Malzac, vous ne découvrirez pas cette preuve, puisque les registres paroissiaux
ont brûlé durant la Révolution.
— Ceux de Bellerocaille, mais
votre ancêtre dit avoir été trouvé à Roumégoux, devant l’entrée du monastère
des vigilants de l’Adoration perpétuelle.
— Dit-il aussi les raisons de
son changement de nom ?
— Oui. D’après ce que j’ai
compris, votre ancêtre était recherché pour vol par la milice de Roumégoux.
Arrêté à Bellerocaille, il a donné un faux nom pour éviter une enquête.
La surprise de Léon fut entière.
Justinien Premier, un vulgaire voleur ! Il comprenait enfin tous ces mystères
autour des Mémoires : la légende en prenait un sacré coup !
*
Quarante-huit heures plus tard,
Malzac débarquait sur le quai de Roumégoux et faisait porter ses bagages à
l’auberge du Chapon rieur, la moins décrépite des quatre restant sur la trentaine
qui prospéraient à l’époque où les pèlerins affluaient par centaines pour
adorer le Saint Prépuce. Après avoir fait la richesse du bourg, la relique en
avait fait la risée lorsque avait éclaté la controverse sur son authenticité.
Le pape avait tranché en déclarant que le vrai Prépuce se trouvait à
Saint-Jean-de-Latran et nulle part ailleurs : aussitôt, les pèlerins
d’autrefois s’étaient mués en touristes rigolards. Les vigilants avaient fermé
la chapelle au public, provoquant une authentique déroute financière chez les
hôteliers et les commerçants de Roumégoux.
La loi l’autorisant à consulter les
registres antérieurs à cent ans, le maire ne vit aucun inconvénient à le
laisser s’installer dans les archives, un réduit mal éclairé où régnait un
fonctionnaire en lustrines et besicles.
— 1663, dites-vous ? Il va
me falloir l’échelle, constata-t-il en montrant la plus haute des étagères où
s’alignaient des registres aux couvertures en lambeaux. C’est l’ordre des
Vigilants qui tenait les registres des morts et des naissances à cette époque.
Quand ils ont été expropriés à la Révolution, la mairie a pu récupérer leurs
archives.
— Je vois, je vois.
La lumière était si pauvre qu’il se
fit acheter des bougies à cinq sous. Il en usa une tout entière avant de venir
à bout du volume 1663. N’ayant rien trouvé, il réclama celui de 1662.
Bredouille, il consulta ceux de 1661, puis de 1660. Rien.
Vanné, le dos en compote et les yeux
rougis et picotant, Malzac rentra à son auberge, dîna et se coucha. Le
lendemain, il retournait aux archives et épluchait les années 1664, 1665 et
1666.
La peau de l’index râpée à vif à
force d’avoir tourné tant de pages, il fit une pause en se faisant servir un
pot de café arrosé, conviant l’archiviste à se joindre à lui. Il lui confiait
sa déception lorsque l’homme l’interrompit :
— Pourquoi ne pas m’avoir dit
que vous cherchiez un
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