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Dieu et nous seuls pouvons

Dieu et nous seuls pouvons

Titel: Dieu et nous seuls pouvons Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Folco
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quand une troupe de saltimbanques se produisit un jour de marché sur
la place du Ratoulet. Il y avait un troubadour-funambule qui jouait de
l’angélique à une toise du sol, un jongleur-acrobate qui ne marchait que sur
les mains et deux femmes. La plus jeune dansait la tarentelle pieds nus, la
seconde, aux cheveux grisonnants, tapait sur un tambourin.
    Chez les Coutouly, assise sous la
niche de sainte Agathe, Éponine allaitait deux poupards à la fois en remuant
avec son pied le berceau d’un troisième qui braillait de faim. Un peu plus
loin, Justinien vidait la cheminée de ses cendres (Éponine les réutilisait pour
sa lessive) quand Martin vint le prévenir que des « amuseurs »
donnaient une représentation sur la place. Se tournant vers sa maman-tétons,
Justinien l’implora du regard.
    — Vas-y puisque tu en meurs
d’envie, soupira-t-elle en lançant un regard noir vers son mari qui l’ignora.
    Justinien laissa pelle et seau et
courut rejoindre Martin dans la rue. Ils durent jouer des coudes pour traverser
l’épaisseur de curieux se pressant autour de la troupe et atteindre le premier
rang. La vue de la danseuse sautillant au rythme saccadé du tambourin agit sur
le jeune homme comme un rayon d’amour traversant sa poitrine et heurtant de
plein fouet son cœur. Son pouls s’accéléra, leurs regards se croisèrent à
plusieurs reprises. Il rougit lorsque sa robe vola très haut autour de ses
longues cuisses brunes.
    Martin, qui l’observait du coin de
l’œil, eut une petite mimique satisfaite. Le gosse réagissait en couillu comme
il l’avait souhaité.
    Depuis son expulsion du séminaire de
l’ordre et les six mois de pénitence, Justinien était revenu vivre chez eux
pour leur plus grande satisfaction. Quand il ne se rendait pas utile dans la
maison ou au jardin, il se faisait quelques sols en assistant l’écrivain public
du village, souvent débordé de travail par l’esprit chicanier de ses
contemporains.
    Cet après-midi-là, Justinien se
montra distrait et commit l’erreur d’utiliser l’écriture gribouille pour une
demande de dispense de jeûne le vendredi qui exigeait impérativement la
modeste. Il dut recommencer et le coût de la feuille gâchée lui fut retenu sur
son salaire.
    Le soleil se couchait derrière les
lointains monts d’Aubrac quand il put enfin retourner place du Ratoulet. Il la
trouva vide. Un crieur de maletache rangeant sa terre à dégraisser et ses
pierres à détacher lui indiqua la direction du pont du Saint-Esprit où il avait
vu la troupe se diriger. Il courut et ne ralentit qu’à la hauteur des dernières
maisons regroupées non loin du pont. Il s’approcha et sentit son cœur
s’emballer en apercevant sur la rive le chariot bâché et le bœuf en train de
brouter. Les saltimbanques étaient installés autour d’un feu allumé près de
l’arche de pierre.
    Justinien resta planté sur le talus,
n’osant les rejoindre, se contentant de les regarder s’affairer autour du foyer
sur lequel chauffait une marmite de terre cuite. Ce fut le troubadour aux joues
vérolées qui le remarqua le premier. Il dit quelque chose que Justinien ne
comprit pas. Les autres levèrent la tête vers lui. La danseuse de tarentelle
abandonna la poule qu’elle plumait pour venir à sa rencontre.
    — Je savais que tu viendrais,
dit-elle avec un fort accent provençal.
    Elle prit sa main et l’entraîna vers
le campement en lui décochant un grand sourire qui dévoila de belles dents
blanches et une large langue rose.
    — Voici Baldo, lui, c’est
Vitou. Et voilà ma mère, on l’appelle la Margote… Et toi, c’est quoi ?
    — Justinien… et… euh, et
vous ?
    — Moi, c’est Mouchette.
    La jeune femme s’approcha, examina
son nez mais ne lui demanda pas de l’ôter. Sans plus de formalités, elle
ramassa une couverture bariolée et le tira par la main derrière l’un des
bosquets bordant la rive.
    Le cœur battant, il la regarda
étaler la couverture sur l’herbe, s’agenouiller dessus et délacer son corsage,
exhibant bientôt deux globes blancs auréolés de brun qui se révélèrent au
toucher doux, tièdes et fermes.
    Mouchette était imaginative,
Justinien réceptif : ils ne virent pas le temps passer, ni ne sentirent
les moustiques s’en donner, eux aussi, à cœur joie. C’était la première fois
pour le garçon, ça ne l’était pas pour la danseuse.
    — J’aimerais beaucoup te revoir,
dit-il à l’instant de l’inévitable

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