Dieu et nous seuls pouvons
réveillé.
Il leur fut reconnaissant de ne pas
l’accabler de questions et il mangea de bon appétit, comptant déjà les heures
le séparant du coucher du soleil.
Quand vint l’heure de confesse, il
était si nerveux qu’il se tripota le nez tout le long du trajet jusqu’au
monastère, convaincu que le Grand Vigilant allait instantanément le démasquer.
Il mentit fort mal, répétant mot
pour mot la confession utilisée la semaine précédente, mais l’abbé était
distrait et ne s’aperçut de rien. Il lui donna l’absolution après l’avoir
condamné à dix Pater Noster et autant d’Ave Maria et d’actes de contrition.
— Dieu sait-Il tout ce qui se
passe ? Je veux dire : même ce qui se passe à Roumégoux ?
— Dieu sait tout ce qui se
passe dans l’univers, petit ignare.
— Dieu peut donc être ici, dans
ce confessionnal, et en même temps sur la place du Ratoulet et sur les berges
de la rivière ?
— En quelque sorte. Écoute,
Justinien, nous ne sommes pas au catéchisme, d’autres pécheurs attendent leur
absolution. Viens me voir après les vêpres, je t’expliquerai ce qu’est
l’omniprésence divine…
Justinien n’eut pas la patience
d’attendre l’office de 18 heures. Il quitta le monastère et s’éloignait sur le
chemin serpentant vers le bourg quand sonna la cloche de la relève de
l’Adoration perpétuelle.
Il trouva la maison Coutouly envahie
comme chaque samedi après-midi par les mères qui visitaient une fois par
semaine leurs rejetons. (Bien qu’elle s’en défendît, Éponine professait
beaucoup de mépris pour ces mères dénaturées qui n’hésitaient pas à lui abandonner
leur progéniture afin qu’elle ne trouble point la bonne ordonnance de leur
oisiveté. Aucune bête, même la plus ingrate, ne laissait une autre nourrir ses
petits.)
Il coupa du bois d’avance et arracha
toutes les mauvaises herbes de la cour qu’il distribua aux lapins du clapier.
A la fin du jour, il se décrotta les
mains et le visage et se dirigea vers le pont Saint-Esprit, dissimulant sous sa
chemise un flacon de vin d’Espagne dérobé dans la réserve de papa Martin,
ajoutant le vol à la liste de ses péchés mortels. Au point où il en
était !
Les saltimbanques s’exclamèrent à la
vue du flacon d’excellent cépage et le convièrent à partager leur dîner.
Plus tard, à demi ivre, le cœur
débordant d’une tendresse communicative, il leur proposa de se joindre à eux,
de les suivre partout où ils iraient.
— J’y ai songé toute la
journée… Laissez-moi vous accompagner, au moins jusqu’à Marseille… J’ai
tellement envie de voir la mer, ajouta-t-il en fixant la poitrine de Mouchette
qui gonflait le corsage.
— Que sais-tu faire ?
demanda Baldo.
— Je sais lire et écrire, même
en latin. Et je sais compter.
Ils éclatèrent de rire. Même
Mouchette qui remplissait son godet.
— Sais-tu chanter, danser,
jongler, faire le saut périlleux en arrière ? Sais-tu seulement marcher
sur les mains ? Remarque, on pourrait t’apprendre, mais il faudrait que tu
puisses payer ta pension durant ton apprentissage. Crois-moi, notre existence
n’est pas une sinécure, nous nous couchons plus souvent le ventre vide que
plein, alors une bouche de plus à nourrir…
— Alors c’est d’accord, vous
m’acceptez ? s’exclama Justinien en applaudissant.
— Tout beau, tout beau !
J’ai dit qu’il faudrait que tu puisses payer ta pension. As-tu de
l’argent ?
— Ça dépend de la somme, dit-il
en songeant à la monnaie de son écu de trois livres.
Il ne vit pas la Margote faire signe
à sa fille de remplir son gobelet.
— Dix sols pour le gîte, vingt
sols pour le couvert, et soixante-dix pour l’apprentissage, pour un mois. Ce
serait mieux si tu pouvais en payer six d’avance.
Malgré son ivresse, Justinien
calcula que ça faisait six cents sols, soit trente livres !
— C’est beaucoup.
— C’est comme ça.
— Si je trouve cet argent, il
faudra me décompter la monnaie de mon écu.
Il estimait que même en comptant la
nuit précédente double tarif, il lui revenait plus d’une livre. Ce rappel tira
une moue déçue de Mouchette.
— Je pensais que tu m’en avais
fait cadeau.
Justinien chercha en vain dans ses
souvenirs celui d’une telle promesse.
— C’est un malentendu…
L’air outragé de la jeune femme lui
fit perdre contenance. Baldo proposa alors l’arrangement suivant :
— Viens demain
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