Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi

poursuivre, mais le cardinal s’est engagé, le cardinal est un homme d’honneur. Du reste, s’il accepta de donner satisfaction à l’aventurier, c’est sans doute qu’il approuvait ce rapprochement.
    Oui, don Juan de Tolède a donc posé sa première condition, après avoir eu la franchise d’avouer la vérité : Ce jeune Hercule est mon fils. Et je souhaiterais que mon fils épouse ta fille.
    Le cardinal tomba de haut. Ainsi ce n’était pas à lui qu’il songeait… Il voulait le bonheur d’un autre. Il aimait peut-être cette jeune femme, mais il était prêt à se sacrifier. Le cardinal se rappela sans doute les propos de Desdémone lors de sa confession. Je te charge de veiller sur l’avenir de notre fille. Unis-la à un homme probe, de peu de fortune, que sa richesse soit d’abord intérieure.
    Le cardinal, souvenons-nous, avait songé à Edmond de Villefranche, mais celui-ci n’était plus libre. Or le page vaut bien le maître. À n’en pas douter, ce sont eux les vrais visages de Rodrigue et de Chimène. »

Nous y sommes
    — Mais nous arrivons, Sire, dit d’Artagnan en descendant le premier de cheval avant de prendre l’enfant roi dans ses bras.
    Il attache sa jument au pied d’un arbre. Il confie la lanterne à Sa Majesté, après l’avoir lui-même allumée.
    Le paysage a quelque peu changé.
    Mais le chevalier reconnaît ce petit sentier. La tombe est là, à quelques pas. Il n’est pas venu depuis ce jour où il a lui-même enterré son ami. Il fallut aller chercher une pioche et une pelle chez un paysan des environs, puis creuser la sépulture et fabriquer une croix avec deux morceaux de bois et un reste de corde.
    — Éclairez-moi, Majesté, demande d’Artagnan en écartant les branches, nous y sommes .

Parole de roi
    Oui, c’est bien là, mais la tombe a été saccagée.
    Ce trou dans la terre aux dimensions d’un homme d’exception est désormais couvert d’herbes sauvages, de petits branchages.
    Le jeune roi s’approche. La buée sort de sa bouche.
    Il pointe sa lanterne. D’Artagnan est désolé. Il ne reste que le crâne et quelques os brisés. Pourquoi ? Le mystère est entier. Des promeneurs ont dû se demander qui couchait là, dans ce champ sauvage, avant de creuser, poussé par le démon de la curiosité. Une fois la tombe ouverte, on a pu constater qu’elle ne contenait rien d’extraordinaire, mais se dire que les armes valaient sans doute un certain prix.
    Le roi est profondément indigné. Il ne trouve pas les mots.
    Il se baisse, prend le crâne et l’enveloppe dans sa cape en le gardant contre lui.
    — Chevalier, dit Louis XIV avec majesté, ce que les hommes ont détruit, le roi le réparera. Je prends l’engagement, devant vous, de garder ce crâne avec moi, et d’offrir un jour à notre ami don Juan de Tolède un mausolée aux proportions de sa grandeur. Je compte sur vous, chevalier, pour me rappeler à ma parole. D’ailleurs, ce soir, en cet instant privilégié, je tiens à vous annoncer ma première vraie décision de roi. Vous resterez peut-être l’homme de confiance de Son Éminence, mais Son Éminence est mon serviteur. Oui, chevalier, vous êtes désormais mon agent privilégié. C’est à vous et à vous seul que je confierai les missions les plus délicates. Cet engagement, tout confidentiel soit-il, n’en demeure pas moins officiel. Rien ni personne, entendez-vous, ne pourra le rompre, si ce n’est la mort, la vôtre ou la mienne.

Sur le chemin du retour
    Ce n’est pas l’endroit où l’on se rend, ni ce que l’on va honorer là-bas, qui donne tout son sens à un pèlerinage. Que l’on aille s’agenouiller au pied d’une église ou d’un tombeau, que l’onaccède au sommet d’une montagne, ou aux bornes d’un pays lointain, le contexte et le but sont souvent de peu d’importance. Car l’important est de revenir différent.
    Et le roi se sent heureux, malgré tout.
    Il garde contre lui l’unique dépouille de son héros ; il se sent chargé de mission, ce qui vient sans doute d’accomplir sa transformation : il reste un enfant de son âge, pour l’apparence du moins, mais qu’on ne s’y trompe pas, son esprit est déjà tourné vers l’avenir, les grands projets qu’il s’évertuera à mener à bien durant toute la durée de son règne. Cette déchirure qui s’était faite en lui en cette nuit du cinq ou six janvier, lors de cette fuite du Palais-Royal, avait entamé sa métamorphose, cette itinérance