Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
continue de jouer face à eux.
Ils se tiennent enlacés. Don Juan n’a peut-être plus la force de parler.
Mais tout est dit. Je fais claquer le fouet, la voiture repart… Le soleil descend vers l’horizon. Il est déjà bien bas.
Le chant d’un oiseau
Cet endroit me plaît. Il sera heureux, ici. Cette terre est douce… et la voici embrasée par les derniers rayons du jour. Je descends. J’ose à peine m’approcher de la cabine.
Ses yeux sont fermés. On dirait qu’il s’est assoupi. Ses traits sont détendus. La lumière du couchant illumine son visage, révèle cette chemise en lambeaux, ces taches de sang couvrant sa poitrine, son bras ballant, ses doigts inertes. Jeanne de Maisonneuve le tient contre elle, comme une mère, comme une épouse. Sa main passe dans ses cheveux. Elle continue de couvrir son front de baisers.
Les joues trempées de larmes, elle sourit. Cette mélodie qui s’achève et se meurt, pure comme le cristal, Fortunio en est l’auteur. Je vais l’apprendre de la bouche même de l’instrumentiste.
En voyant le musicien s’arrêter de jouer, comme pour laisser place au silence et au recueillement, Jeanne de Maisonneuve relève le front. D’une voix déchirante et des plus tendres, elle implore le jeune interprète de reprendre ce chant qui nous serre le cœur :
— Joue, beau musicien, joue encore. Que son âme s’envole comme s’élève le chant d’un oiseau. »
Chapitre onze
Ce sera notre secret chevalier
La folie du roi
C’est une folie ! Bien sûr. Mais pour commencer, le roi est le roi. Ensuite, cette folie était pour ainsi dire inévitable. Au fond de lui d’Artagnan n’a jamais été aussi heureux d’enfreindre le règlement tout en obéissant à la volonté d’un supérieur.
Cette fuite fut assez simple à mettre sur pied, mais dans quelle angoisse.
Du reste, il faudra encore revenir et retrouver sur le chemin du retour les risques encourus à l’aller.
Comment expliquer cette pérégrination entreprise en pleine nuit, au cœur de l’hiver ? Quelle ironie , se dit d’Artagnan. Être chargé de la protection du souverain et faire ce que les frondeurs rêvaient d’accomplir, réussir là où ils ont échoué. Enlever le roi ! L’enlever aux siens, l’enlever à son palais !
Cependant, la grande différence, c’est qu’en l’occurrence, cet enlèvement, c’est le roi lui-même qui l’a souhaité. Si le cardinal savait ! Si la reine l’apprenait !
D’Artagnan tenta d’ailleurs par tous moyens de dissuader le roi.
— Je pourrais moi aussi rejoindre la Bastille, peut-être les galères !
— N’ayez crainte, chevalier, répondit le souverain, ce soir, je me charge de vous protéger. Si nous sommes pris sur le fait, j’expliquerai tout. Je saurai trouver les mots comme vous avez sibien su trouver les vôtres durant toutes ces journées merveilleuses que nous avons passées ensemble.
Certes, la raison eût voulu que ces nomades – le roi et d’Artagnan – aient patienté jusqu’au lever du jour. Sortir du château de Saint-Germain… soit, peut-être… mais sans escorte, sans garde, sans arme ! Sans cervelle, oui !
Cela eût été alors une échappée officielle, encadrée, dans les formes. Mais cela n’était plus une aventure. Et c’est une aventure que le roi voulait vivre, en cet instant volé, avant de retourner à sa vie de château, de retrouver sa prison d’État, sa couronne, ses obligations, ce premier rôle sur le théâtre du monde.
Quand Louis XIV apprit que son héros don Juan de Tolède avait été enterré à une lieue seulement du château de Saint-Germain, il sut que cette histoire ne pouvait se terminer comme elle avait commencé : entre quatre murs.
Alors le roi n’ira pas dans une taverne pour le simple plaisir d’y entrer, de s’y asseoir et parce que cela lui est interdit. Plus tard, dans quelques années, il aura du vin, il pourra respirer l’odeur du tabac, il pourra jouer aux cartes, mais toujours sous le regard des uns et des autres, ou alors dans sa solitude. Il y aura des courtisans, des protecteurs, des quémandeurs, des menteurs, des serviteurs, des gardiens, tous ses faits et gestes publics seront attentivement observés et commentés en sourdine dès qu’il aura le dos tourné. Toutes ses paroles seront paroles d’Évangile. Non, il ne pourra pas passer inaperçu, vivre au milieu de ses sujets sans être constamment entouré par le silence ou le murmure, l’intrigue, le complot,
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