Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi

nocturne et secrète vient de l’achever. Les âmes fortes naissent souvent dans la souffrance, dans l’épreuve, comme l’acier se forge dans le feu, mais ce feu et cette douleur, il faut en sortir, ne pas s’y consumer, ne pas s’y éteindre.
    D’Artagnan fut le passeur du roi. Il l’aida à franchir cette terre dévastée où l’enfant semblait avoir été abandonné, comme Virgile fut le guide du poète Dante dans sa traversée des Enfers.
    Le voyage semble terminé.
    Mais d’Artagnan doit encore apprendre deux ou trois choses au roi. Il faut apercevoir le Paradis, à l’étage supérieur afin que l’esprit, en respectant les paliers, ne cesse jamais de grimper.
    L’enfant roi a donc repris place entre les jambes du cavalier, sans lâcher sa relique, et d’Artagnan reprend les rênes.

Premier mariage
    « Sire, revenons à nos événements, nous avons juste le temps de conclure ce récit. Tout conte doit s’achever par un mariage. En effet, ces fiançailles laissaient présager une suite. Mais ce mariage en préparation en annonce un suivant. Pour celui-ci et celui-là, célébrés le même jour, au sein de la même chapelle, il faut un prêtre. Encore une fois, le cardinal est tout désigné. Ces mariages se font dans la plus stricte intimité. C’est l’ancienne frondeuse, notre belle Alouette, qui a souhaité choisir l’emplacement.
    Puisque ce premier mariage, celui d’Hercule et Marie, doit rester des plus secrets, rien ne semble plus approprié en effet, pour le consacrer, qu’une église désertée.
    À tout dire, cette église, située aux environs de Paris, est une ruine.
    C’est là que celle qui était alors la protégée de Lanteaume rencontra sa mère pour la première fois. C’est là que Desdémone lui remit cette lettre qui allait lui révéler toute la vérité.
    C’est là que la jeune femme venait, du temps où elle était encore une hors-la-loi, une voleuse sans feu ni lieu, se recueillir et admirer parfois le lever du jour.
    Cette ruine est alors couverte de ronces, de lierre, de végétation sauvage, de nids d’oiseaux. Il faut la préparer pour qu’elle puisse accueillir les futurs époux. Le cardinal envoie donc des ouvriers sur place pour l’éclaircir et la débarrasser de ce lourd manteau d’épines et de lianes qui l’étouffent pierre par pierre.
    Le cardinal fait mieux.
    Puisque ces mariages sont aussi des victoires, celles de l’amour sur la haine, de la vie sur la mort, cette église en portera le témoignage. Elle recevra les promis à ciel ouvert, à moitié défaite, mais l’heure de sa résurrection a déjà sonné. Dès les prochains jours, elle sera restaurée. Les pèlerins, les fidèles y reviendront, l’autel y sera rétabli, les messes s’y succéderont.
    Je suis invité pour ces mariages, en qualité de témoin.
    C’est un jour merveilleux. L’office a lieu au petit matin. Hercule et Marie échangent leurs anneaux, ainsi qu’un baiser. Ils partiront dès le lendemain pour l’Angleterre. C’est là-bas que le cardinal entend les mettre à l’abri, pour les prochains mois tout au moins.
    Après tant d’attente…
    Maintenant, la deuxième union.
    Edmond de Villefranche peut enfin épouser celle qui, jusqu’alors, avait courtoisement repoussé toutes ses avances – il nous en fit la confidence. Certes, Edmond est aujourd’hui riche, la fortune de son père lui est revenue, complétée de suppléments généreux. Mais cela, en vérité, n’influa nullement la raison de cette femme dans toute sa beauté qui le regarde avec amour. Non, Jeanne de Maisonneuve attendait autre chose pour donner sa main… une liberté qu’un certain don Juan de Tolède vint lui apporter avant de mourir dans ses bras. Cette liberté qui semblait être, au fond, le seul maître de ce cavalier seul. »
     
    — Edmond de Villefranche était donc amoureux de cette femme, de la mère de son page, dit le jeune roi en sentant son cœur bondir dans sa poitrine.
    — Je l’ai découvert ce jour-là, Majesté. Et comme vous, je fus des plus surpris, des plus surpris et des plus émus. Cela pourrait clore notre récit, mais j’ai encore deux ou trois confidences à vous faire, Sire.

La cendre et le cilice
    « Ne quittons pas cette chapelle où les mariages viennent d’être célébrés.
    Quelques mois plus tard, alors que les travaux prennent fin, un abbé vient la découvrir. C’est là qu’il va désormais résider, dans une humble loge jointe à l’église