Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi

la ruse, la flatterie. Mais ce soir, il peut oublier pour un instant tout ce qui l’attend. Ce soir, il est le maître de sa vie, l’arbitre de ses choix. Ce soir, il fait ce qu’il lui plaît. Ce soir, il peut sentir son cœur dans sa poitrine, battre comme celui des enfants : plus vite que ceux des hommes.
     
    Quand le château fut en sommeil, d’Artagnan qui avait accepté ce soir-là de se porter volontaire pour veiller devant la porte du roi, d’Artagnan, disons-nous, n’eut qu’à rentrer dans cette chambre qui était presque devenue la sienne. Le prince l’attendait sans avoirfermé l’œil, comme l’épée du roi en son fourreau : tout habillé dans son lit.
    Il fallut prendre des manteaux chauds, des chapeaux, des gants épais, des chandelles, doubler les épaisseurs de laine, partir avec une gourde de vin chaud, ainsi qu’une lanterne que l’on allumerait plus tard.
    Ensuite, il restait encore à longer les murs, à pas de loup, comme des voleurs – quel bonheur ! –, descendre un escalier, surtout ne réveiller personne, ne pas trébucher, ne pas alerter les chiens, ne pas se prendre les pieds dans une hallebarde, passer une porte dérobée, emprunter une galerie souterraine, une bougie à la main, puis retrouver ce coursier que d’Artagnan avait avancé.
    L’enfant monta devant, entre les jambes du chevalier, il n’avait qu’à se laisser conduire. Ce soir, la lune brille de tous ses feux, le vent par chance, ne souffle pas trop fort, Louis XIV ne sent pas le froid, il est heureux, il est bien, ce chevalier d’Artagnan est son gardien, son mousquetaire, son meilleur ami.
    Les dernières volontés de Desdémone
    Le voyage peut commencer.
     
    « Maintenant, Sire, je dois vous révéler l’épilogue de notre histoire, dit d’Artagnan en ayant passé les limites du domaine.
    Pour commencer, je retrouve le cardinal dans son bureau le lendemain matin.
    Il est profondément attristé en m’entendant lui annoncer la mort de son fidèle agent.
    Tout d’abord, il refuse de me croire. Il était tant de fois sorti du tombeau !
    Je dois donc raconter toute l’histoire. Son Éminence m’écoute attentivement. Le cardinal pleure lui aussi, dans ses mains. Un ami cher nous a donc quittés, dit le cardinal en retrouvant sa pudeur. Il m’offre un verre, pour boire à la santé d’Amadéor, l’homme au cœur d’or , comme il veut l’appeler.
     
    Mais Son Éminence a aussi des choses à me dire.
    Après un instant de silence et de recueillement, il me prie de m’asseoir et de l’écouter.
     
    “Ce matin, j’ai reçu une lettre, d’Artagnan. Cette lettre me venait de Desdémone.
    Elle y indiquait ses dernières volontés et me faisait un présent.
    Pour commencer, le présent…
    Ce présent est un document officiel qui complète la pièce que nous sommes parvenus à reconstituer. Je ne sais comment Desdémone a pu se le procurer, mais il montre bien qu’une alliance occulte avait été passée entre nos conspirateurs et la Maison d’Espagne. Oui, d’Artagnan, cette Cabale des Importants , comme le prouva également l’intervention manquée de ce Fortunio, c’est l’arbre qui cache la forêt. Cette forêt, il m’est pourtant bien difficile de la raser ou de la brûler. À tout dire, je ne m’imaginais pas autant d’ennemis. Ils sont partout.
    Je finis par me demander si tant d’efforts déployés pour contrecarrer cette cabale ne furent pas dépensés en pure perte. Sa victoire à la Pyrrus nous a tant coûté ! Corneille voit juste :
    Rome a pour ma ruine une hydre trop fertile,
    Une tête coupée en fait renaître mille,
    Et le sang répandu de mille conjurés
    Rend mes jours plus maudits, et non plus assurés.
    J’ai pris les mesures nécessaires avec la reine, à qui je présentai le parchemin.
    Ces coupables ont notre pied sur la gorge. Beaufort sera conduit au château de Vincennes, pour y être enfermé à double tour. Châteauneuf, les Vendôme et la duchesse de Chevreuse seront consignés en province. Je n’ai pu obtenir davantage. Mais combien de temps pourrons-nous les tenir à terre ?
     
    Maintenant, je puis vous dire un mot sur les dernières volontés de la défunte : Desdémone souhaite rejoindre les eaux du fleuve, le lit de la rivière Seine. Elle m’avoue en effet, dans ce courrier, avoir prémédité sa mort.
    Je veux partir sur une note heureuse. Étrange expression. Au comble de l’émotion, dans un état de grâce.
    Cette mort volontaire,