Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
sans ménagement.
Les nouvelles vous précèdent.
Je sais, par mes sources et mes sources valent bien les vôtres, que vous serez rentré ce soir à Paris. Je me languis de vous, chevalier ! Ne laissez pas au désespoir une femme amoureuse. Ma cheminée brûle, mon cœur n’est pas moins ardent, mon corps vous réclame… Mais je vous préviens, si vous n’êtes pas chez moi à minuit sonnée, je prends un autre amant et je vous laisse tout au roi, ce maudit rival qui me prend décidément trop souvent et quand il lui plaît, mon cher mousquetaire. Monsieur, vous voilà averti !
Louise de Beaulieu
Diable, se dit d’Artagnan. L’affaire est en effet brûlante.
— Quelle heure est-il, Planchet ?
— Onze heures vont sonner.
— Bon, j’ai juste le temps de me mettre à table, avant de passer au lit, dit d’Artagnan en se frisant les moustaches.
— Il reste la deuxième lettre, dit Planchet.
— Eh bien, la deuxième lettre attendra ! Mon souper refroidit et madame de Beaulieu va s’impatienter.
— C’est que… cette deuxième lettre vient du roi.
Le roi… Misère, encore le roi ! Mais que diable, en acceptant cette charge, allais-je faire dans cette galère ?
D’Artagnan hésite.
Ouvrir, c’est peut-être devoir sacrifier madame de Beaulieu sur l’autel de la raison d’État, pesant et douloureux sacrifice en vérité.
D’Artagnan va jouer la chose à pile ou face. Comme au bon vieux temps.
Il sort une pièce de son gousset, la fait voler, la rattrape, la retourne. Mordieu ! Face, il faut ouvrir. Le sort a tranché . D’Artagnan ouvre. Mais ce faisant, il regarde mieux sa pièce… Capededious ! Je l’avais oublié, ma fameuse pièce, la sienne ! La pièce de don Juan de Tolède, la fameuse pièce à double face !
Trop tard, l’enveloppe est déchirée, le sceau est rompu, autant lire la lettre.
Une voiture passera vous prendre à cinq heures du matin, porte Saint-Marcel.
Soyez à l’heure, vous savez comme sont les puissants : ils détestent attendre.
Louis Dieudonné.
Cinq heures !
D’Artagnan soupire… Mais il respire. Cinq heures, cela lui laisse toute la nuit. Diable, le vin est bon et la soupe est fameuse. Voilà qui redonne des forces !
— Planchet, mon bon Planchet, tu es un saint homme. Donne-moi donc une cuisse de ton gigot, je la dévorerai en chemin, les affaires reprennent !
Les jardiniers de la France
D’Artagnan n’a pas fermé l’œil. Mais il est ponctuel. La voiture est là. La Politesse des rois , dit une voix à l’intérieur du carrosse, alors que s’ouvre la portière.
D’Artagnan rentre et se découvre aussitôt. Cette voix, c’était bien la sienne. Cet homme – mais est-ce un homme ? tantôt demi-dieu, tantôt bourreau impitoyable –, c’est bien le roi Louis XIV en personne.
— Vous sentez le gibier, d’Artagnan, la biche. Décidément, vous ne vous accordez aucun répit. Sur tous les fronts à toute heure et toujours cette éternelle jeunesse. Ah oui, d’Artagnan, j’aimerais vieillir comme vous, sans prendre de l’âge, rester toujours vif pour l’action, vaillant en amour. Alors, cette mission ? demande le roi, tout en commandant le départ.
D’Artagnan doit faire son compte rendu, tandis que le carrosse va franchir les limites de la Ville. Il se montre, comme à l’ordinaire, précis, rigoureux, d’une clarté exemplaire. Mais pour cette fois, point de verve, point de chaleur gasconne dans la voix. Cela est fait très roidement, sans plus d’enthousiasme, et comment d’Artagnan pourrait-il en avoir ?
Le roi ne relève pas.
— Je sais que cette mission vous a bien coûté, d’Artagnan, et croyez-le ou non, je n’ai point agi de gaieté de coeur. Mais je suis le roi. Et le roi, lui aussi , fait ce qu’il faut faire. Or, un roi honore toujours sa parole. Vous pensiez sans doute que j’avais oublié notre héros, notre ami don Juan de Tolède. Vous allez voir qu’il n’en est rien. Mais nous sommes arrivés.
Le crâne, la casaque et l’épée
D’Artagnan et le roi sont descendus de voiture. Le roi tient lui-même dans ses bras un petit coffre ainsi qu’une pelle, d’Artagnan, lui, est chargé de transporter deux paquets, enveloppés d’une soie noire. Ces paquets, c’est le roi qui les lui remit en le chargeant de les transporter. Le roi et le mousquetaire sont seuls. Les gardes sont restés près de la voiture.
L’endroit est fort humide, de bon matin. Les marécages ne sont pas loin.
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