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Don Juan

Don Juan

Titel: Don Juan Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Zévaco
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table de la grande salle et commanda qu’on lui apportât une bonne omelette, une tranche de venaison, un pâté, une volaille rôtie et deux ou trois flacons de Saumur. À l’énoncé de ces prétentions, maître Grégoire fronça les sourcils, mais Bel-Argent, d’un geste plein d’éloquence, montra dans sa main les écus qu’il devait au généreux sommeil de son maître ; ce que voyant, le patron de la Devinière adressa au valet de Ponthus le sourire même qu’il réservait à tout client bien lesté d’écus – que le client fût prince ou truand – et s’envola vers les cuisines.
    Or Bel-Argent allait attaquer l’omelette en question lorsque la porte qui donnait sur l’escalier conduisant aux étages supérieurs s’ouvrit lentement, et Jacquemin Corentin apparut, lugubre et tout soupirant.
    Jacquemin Corentin vint s’asseoir à la table voisine de celle où Bel-Argent se carrait devant les choses succulentes qu’il s’apprêtait à engloutir.
    Un garçon de salle vint lui demander ce qu’il désirait boire.
    Jacquemin d’un geste machinal se fouilla, puis poussa un profond soupir et, stoïque, répondit :
    – Je n’ai pas soif…
    Bel-Argent vit le geste, nota le soupir et s’écria :
    – Eh quoi, seigneur Corentin ! Il serait vrai ? Vous n’avez pas soif…
    Jacquemin tressaillit, et s’aperçut alors seulement qu’il venait de se placer près de son intime ennemi.
    – Ho ! songea-t-il. Lui aussi ! Il m’appelle seigneur. Que diantre m’arrive-t-il ? Serais-je donc vraiment, sans m’en douter, le comte de Corentin ? Non, répondit-il, je n’ai pas soif, ce matin ! Il y a des jours comme cela, où l’on n’a pas soif…
    Bel-Argent eut un éclat de rire, et, attaquant l’omelette, fit entendre une féroce mastication, puis se versa un ras bord qu’il vida d’un trait.
    – Oui, dit-il alors. Il y a des jours comme cela. Moi, heureusement, je ne connais que les jours où j’ai faim et soif. Aussi, tu vois…
    Et le supplice de Tantale recommença pour Jacquemin qui, en vain, détournait la tête.
    – Allons, avoue ! dit tout à coup Bel-Argent.
    – Ainsi va le monde, songeait lugubrement Corentin. Ce misérable truand est cousu d’or. Il dévore, il boit avec impudence, avec indécence. On voit bien qu’il a pour maître un généreux gentilhomme, tandis que moi… hélas !… – Que faut-il que j’avoue ? reprit-il.
    – Que tu es sans sou ni maille, tiens ! Jacquemin se redressa fièrement et dit :
    – Mon maître, le seigneur Juan Tenorio, sortit hier de l’auberge en me commandant de l’attendre en sa chambre. C’est ce que j’ai fait. Il n’est pas rentré de la nuit, et le diable sait pourquoi. Las de l’attendre là-haut, je suis descendu ici pour le voir dès qu’il arrivera, ce qui ne saurait tarder. Or, sache-le, Tenorio est riche au point de ne savoir que faire de sa fortune…
    – Eh bien ? demanda Bel-Argent.
    – Eh bien, dès qu’il arrivera je lui demanderai un écu d’or et il m’en donnera deux : je le connais.
    – Et alors, tu auras soif ?
    – Oui, dit naïvement Corentin. Faim et soif, car depuis hier je n’ai ni bu, ni mangé.
    C’était la vérité. Le pauvre Corentin avait dépensé le fond de sa bourse à sa dernière étape, et il y avait près de vingt-quatre heures qu’il jeûnait. Il était vrai également que Juan Tenorio n’était pas rentré de la nuit – nous dirons pourquoi. Obéissant à l’ordre qu’il avait reçu, Jacquemin n’avait pas bougé de la chambre de son maître. Et ce n’est qu’à l’heure où les tiraillements de son estomac devinrent par trop impérieux qu’il se décida à descendre à la grande salle dans l’espoir de quelque aubaine de rencontre. Quant à demander un crédit, qui certes ne lui aurait pas été refusé, Jacquemin était trop scrupuleux et – pourquoi ne pas le dire ? – trop fier pour y songer : fier pour lui-même, fier pour son maître. Qu’eût-on pensé de Juan Tenorio en voyant que son valet n’avait pas d’argent !
    – Holà ! cria Bel-Argent qui venait de terminer l’omelette. La venaison, maintenant !
    – Sacripant ! se dit Jacquemin. Il tranche du maître, il parle, il ordonne !… et moi !…
    Il jeta un regard navré sur l’épaisse tranche de venaison qu’on venait de placer devant Bel-Argent. Puis, ne pouvant plus endurer le supplice, il se leva pour sortir.
    – Si tu veux me dire la vérité, dit tout à coup

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