Don Juan
murmura Maugency.
Le comte frissonna. La jalousie le mordait au cœur. Un flot de sang monta à sa tête. L’insulte jaillit.
– Eh ! ne vois-tu pas que ce sont ici deux nocturnes coupe-jarrets !
– Vous dites ? demanda une voix cinglante, et le plus jeune des inconnus se dressa devant Loraydan.
– Je dis, bégaya le comte, je dis qu’à des drôles de votre espèce…
Il n’acheva pas. La main du jeune homme se leva, partit, s’abattit, le soufflet claqua. Au même instant, les épées sortirent des fourreaux, Loraydan, râlant de convulsives paroles de honte et de rage, l’autre, calme, ramassé, prêt à la riposte… Maugency, d’un geste, écarta les rapières, se plaça entre deux adversaires :
– Comte, je prends pour moi la moitié de l’outrage, mais j’aime à voir au soleil le sang que je répands. Si ces messieurs nous disent qui ils sont, demain matin, ici même…
– Oui ! oui ! Demain matin ! Au grand jour ! gronda Loraydan. Si Bérengère le connaît, songea-t-il, si elle l’aime… elle verra ! oui ! elle verra comment meurent ceux qui se placent sur mon chemin ! Malheur à lui ! Et malheur à elle !…
Le roi s’était reculé et assistait impassible à cette scène. Maugency continua avec fermeté :
– Messieurs, je suis le baron Roland de Maugency, et voici le comte Amauri de Loraydan. Et vous ?
– Mon nom est Philippe de Ponthus, dit froidement le plus âgé des inconnus, et voici mon fils : Clother, sire de Ponthus.
– Ponthus ? tressaillit Maugency.
– Ponthus. Je vous connais, Maugency. Et vous me connaissez. Tous deux, ici, jadis, mais pour des besognes différentes, nous nous rencontrâmes près de celle qui mourut en cet hôtel. Il paraît que notre destinée était de nous battre encore aux abords de l’hôtel d’Arronces…
– Monsieur de Ponthus, laissons le passé. Je vous tiens pour un loyal gentilhomme. Il me suffira donc que vous acceptiez de vous trouver devant cette grille demain matin.
– Nous acceptons !… Nous serons ici à huit heures du matin… Cela vous convient-il ?
– L’heure est excellente. Je vous aurai pour adversaire. Et mon ami Loraydan aura l’honneur de se mesurer avec Monsieur votre fils. Nous aurons, n’est-ce pas, rapière et miséricorde ?
– À merveille. Bonsoir, messieurs, et à demain huit heures !
Philippe et Clother de Ponthus saluèrent et se retirèrent. Bientôt, leurs deux ombres s’évanouirent dans la nuit. Loraydan mâchonnait de sourdes insultes. Roland de Maugency, pensif, baissait la tête.
– Je ne savais pas, murmurait-il, je ne savais pas que Philippe de Ponthus eût un fils…
Le roi se rapprocha et le toucha à l’épaule. Maugency eut un violent sursaut.
– Voilà une rencontre, dit François I er en riant. N’est-ce pas ce Ponthus qui, un jour, derrière cet hôtel…
– Oui, sire… Il y eut coup fourré. Nous nous touchâmes et tombâmes ensemble. Il y a de cela vingt ans passé, continua Maugency rêveur. C’était la veille même de la mort d’Agnès de Sennecour…
Loraydan, tourné vers le logis Turquand qu’il contemplait ardemment et dont il se rapprochait peu à peu, ne prêtait aucune attention à ces paroles et même ne les entendait pas. Le roi était placé près de la grille, et d’une voix bouleversée par l’émotion :
– Voici donc l’hôtel d’Arronces !… Demeure bénie, combien douces furent les heures que je passai sous ton toit !… Vieux tilleuls, je vous reconnais, et il me semble que je vois encore ma chère Agnès se promener lentement sous vos ombrages. Ah ! jeunesse, ô ma jeunesse, où êtes-vous ? Heures de charme et de poésie, pourquoi, si tôt, vous êtes-vous envolées ?… Hélas ! Je te regarde, antique hôtel, je te regarde avec les mêmes yeux que j’avais alors, et je ne vois plus qu’un fantôme blanc qui me dit : « Sire, vous m’avez trompée, et j’en meurs ! »
– Les dernières paroles d’Agnès ! murmura sourdement Maugency.
– Oui. Ses dernières paroles. Mais, cher Maugency, pouvais-je lui dire que j’étais le roi ? Réponds ! Qu’aurais-tu fait à ma place ? Devais-je donc mourir d’amour ou l’épouser ? Le roi de France ne pouvait épouser Agnès de Sennecour. Il fallait donc bien que je me donnasse à elle pour un gentilhomme dont toute la fortune consistait en cet hôtel d’Arronces. Ainsi, elle put m’écouter ! Ainsi, elle put me croire quand je
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