Don Juan
parler à l’empereur avec la fermeté nécessaire. Il faut le décider, Loraydan, il le faut ! Je sais quelle est sa grande influence sur l’esprit de Charles. S’il le veut loyalement, le Milanais me reviendra. Le Milanais doit me revenir. Mon honneur y est engagé. Quoi ! Tu n’as pu obtenir un mot ?…
– Sire, dit Loraydan, vous m’aviez donné l’ordre de n’aller pas plus loin qu’Angoulême. Je crois que si j’étais resté huit jours de plus auprès de M. d’Ulloa, j’aurais fini par le décider.
– Rejoins-le, Loraydan, rejoins-le ! Parle-lui ! Promets-lui ce qu’il voudra demander. J’y souscris. Il faut que l’empereur soit prêt à me rendre le Milanais quand il arrivera à Paris !
– Si Votre Majesté le veut, je repartirai demain matin.
– Non ! repose-toi trois jours. Mais pas plus. Puis, tu gagneras Poitiers et tu y attendras l’arrivée de l’empereur. De Poitiers à Paris, tu auras tout le temps voulu pour achever ce que tu as commencé. Et songe que toi-même… je ne t’ai jamais rien donné parce que je te sais riche…
– Oh ! sire, ma fortune ne dépasse pas deux millions !… Mais elle m’est suffisante, et je ne demande à Votre Majesté que la gloire de la servir…
– Oui, je sais ton dévouement, ton désintéressement. Deux millions ! Je te savais riche, mais pas à ce point. N’importe, si tu réussis, Loraydan, je te donne, à la cour, la charge que tu demanderas, aussi importante qu’elle puisse être…
Le comte de Loraydan se courba, autant pour remercier que pour cacher sa joie terrible.
– La fortune ! rugit-il en lui-même. Est-ce enfin la fortune !… Les millions de Bérengère !… Une charge à la cour !… Je deviens l’un des rois de Paris…
– Donc, continua François I er , tu repars dans trois jours, et vas t’embusquer à Poitiers pour achever la séduction de ce vieux fou. Ha ! ajouta-t-il en reprenant sa gaîté, il fallait voir, au Louvre, ses airs effarouchés, à cause de cette pauvre duchesse (Anne de Pisseleu, duchesse d’Étampes, maîtresse de François I er . Le royal adultère était officiel et installé au Louvre. Nul n’y voyait matière à scandale)… n’est-ce pas, Maugency ?
– J’avoue, dit le gentilhomme, que l’attitude de M. d’Ulloa ne m’a pas donné à rire.
– Oh ! toi, tu es pour la vertu, et tu es de l’ancien temps. Soyons jeune, mort diable ! et vivons la vie ! Tu vieillis, Maugency, tu vieillis… au fait, quel âge as-tu ?
– Quarante-cinq ans, Sire : c’est de la jeunesse, puisque c’est l’âge même de Votre Majesté !
– Bon ! À ton compte, j’aurais quarante-cinq ans ? Ce n’est pas possible !… Mais voilà assez parlé de futiles affaires. Songeons un peu à la chose sérieuse entre toutes… au plaisir ! Je vous emmène tous les deux.
– Où allons-nous, sire ?
– Près d’ici. Et d’abord, à l’hôtel d’Arronces. Depuis que je l’ai donné au Commandeur d’Ulloa, j’éprouve je ne sais quel désir de le revoir… j’y ai laissé un peu de ma jeunesse… tu en étais, Maugency… tu te souviens ?
– Oui, sire. C’est là qu’est morte la pauvre Agnès de Sennecour…
– Allons ! dit brusquement le roi.
– À l’hôtel d’Arronces ! rêva Loraydan. Je verrai la maison où dort Bérengère !…
Les trois gentilshommes sortirent de l’hôtel Loraydan. Le ciel était constellé et la nuit en était confusément éclairée. Il n’était guère que neuf heures. Mais le chemin de la Corderie était désert…
Comme ils approchaient, ils virent deux hommes immobiles, accotés à la grille que nous avons signalée.
– Deux truands ! dit le comte de Loraydan.
– Non, fit Maugency, de qui la vue était perçante, deux gentilshommes. L’un d’eux, à sa tournure, me paraît jeune. L’autre peut avoir mon âge.
– Que font-ils là ? pensa furieusement Loraydan. Oui, je vois. L’un de ces deux misérables est jeune. C’est pour Bérengère qu’il est venu ! Enfer ! Qui sait si… Holà, messieurs !… cria-t-il.
Les deux inconnus tressaillirent et semblèrent apercevoir alors seulement les trois gentilshommes arrêtés à quelques pas de la grille.
– Que désirez-vous, messieurs ? demanda poliment le plus âgé.
– Nous désirons que vous vous en alliez ! répondit Loraydan.
– Oh !… Et pourquoi ?…
– Parce que vous nous gênez !
– Loraydan ! Loraydan !
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