Don Juan
Vaine recherche, illusoire débat. C’est une forme des naissances de l’amour aussi commune que les lentes cristallisations de sentiments…
Bérengère est un ange, Loraydan une bête féroce, et ces deux êtres s’aiment.
Oh ! nous savons bien que c’est là une banale aventure. Ce drame, chacun de nous, autour de soi, a pu l’observer : homme ou femme, il y a une victime. Toute la question est de savoir si le destin, dramaturge infiniment varié parce qu’il se désintéresse de ses acteurs, terminera son dernier acte sur un éclat de rire ou un hurlement de douleur…
Entré au logis Turquand à quatre heures, il en est sept quand le comte en sort. Sa pensée :
– C’est juré. C’est écrit. C’est signé de mon nom : Bérengère sera ma femme ! Et qu’importe ce qu’on en pourra dire ? Pourrais-je me détacher d’elle ? Quelle ivresse ! Et quel éblouissement ! Comment ai-je pu, jusqu’à ce jour, vivre sans elle ?
Aux bras de son père, Bérengère pleure doucement ; elle murmure une foule de choses qu’elle ne s’est jamais dites, qui la bouleversent d’un étonnement charmé, parmi lesquelles, toujours, reviennent les mêmes mots :
– Est-ce possible ? C’est vrai ? C’est bien vrai ? Il m’aime ? Je serai sa femme ? Il l’a dit ?…
Lentement, le comte de Loraydan suit le chemin de la Corderie ; pour atteindre son hôtel, il faut dix minutes : il y met plus d’une heure… La fièvre tombe… l’enivrement se dissipe… il songe :
– Deux millions ! Turquand l’a écrit et signé : Bérengère aura deux millions de dot ! Pour commencer, cent mille livres en or seront demain chez moi ! Deux millions ! Quelle arme dans mes mains !… Mais… si je suis forcé de quitter la cour ? Enfer ! J’entends déjà ce roi fourbe me dire en ricanant que le Louvre n’est pas une retraite pour filles d’usuriers !…
Et Turquand s’ingénie à calmer son enfant. Il rit. Il exulte. Encore et encore, il refait le récit de la demande :
– Puisque je te répète qu’il s’est presque mis à genoux, ce fier gentilhomme ! Allons, ne pleure plus. Trois mois encore, trois mois, pas un jour de plus, et tu seras comtesse de Loraydan… comtesse !…
– Le joli titre !… Oh ! c’est un grand seigneur ; mais le titre ne m’est cher qu’à cause de lui. Il est ce qu’il est. Il est celui que j’aime. Le sait-il ? Oserai-je jamais ? C’est vous qui devez le lui dire, et que ma vie, mon âme, tout ce qui est moi sera pour son bonheur…
Amauri de Loraydan, enfin, arrive à son portail. Rude et violente a été sa discussion avec lui-même. Tortueux ont été les sentiers parcourus par son esprit. Maintenant, c’est fait… Il y est. Il a trouvé la solution.
– Renoncer à elle ? Jamais ! Je l’aime ! À la seule idée de la perdre, ma tête s’égare… Je la veux, je l’aurai… Mais… pourquoi me déshonorer ? Quelle nécessité de l’épouser ? Aucune !… À moi Bérengère, et aussi ses millions !… Oh ! ce n’est pas de moi que l’on rira… Ma maîtresse adorée… et fêtée avec l’argent de sa dot !… Voilà ce qu’il faut qu’elle soit !…
Une dernière hésitation, ultime convulsion de conscience, et il décide :
– J’aurai cette fille ! J’aurai ses millions ! Et ils n’auront pas cet illustre nom de Loraydan que, par Dieu ! ils convoitent, elle et son usurier de père !… Amour et fortune !… Malheur ! Malheur ! Malheur ! à qui me tombe sous la main !…
XI
LE ROI
Entré dans la cour de son hôtel, le comte de Loraydan appela son valet qui accourut :
– Brisard, demain matin, tu te rendras chez maître Turquand, et aideras son serviteur à transporter ici dix sacs. Sois armé : chacun de ces sacs contiendra dix mille livres en or…
Brisard s’inclina avec une stoïque indifférence : quelle que fût la passagère opulence de son maître, il savait qu’il n’en aurait pas miette ; quelle que fût, d’ailleurs, la misère du comte, ses gages lui étaient payés avec une rigoureuse exactitude. Joie ou souffrance, confiance ou crainte, tout signe de sentiment lui était interdit. C’était une machine à exécuter des ordres. Il était dressé sans qu’il lui fût permis de laisser seulement supposer qu’il était une machine pensante. Et l’était-il ?…
Raide et figée, d’une voix où il lui était défendu de mettre la moindre intonation, la machine
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