Don Juan
où vous aurez vingt et un ans. Cependant, il est possible que je ne puisse pas exécuter cette volonté, soit que je meure avant l’époque dite, soit qu’à cette même époque je sois séparé de vous pour quelque raison que ce soit.
C’est pour cela, Clother, que je vous écris la présente lettre.
Elle a pour but :
D’abord, de vous mettre en possession de douze diamants ayant appartenu en bien familial à votre mère qui les tenait elle-même de sa propre mère. Ces diamants ont été estimés au plus bas prix à trois cent mille livres et doivent servir à votre établissement dans la vie. Vous pouvez, vous devez en user ; en hésitant à vous servir de cette somme, vous iriez expressément contre la volonté de votre mère et la mienne.
Cette lettre a comme deuxième but de vous indiquer que vous trouverez en l’hôtel d’Arronces :
1 ° Le nom et l’histoire de votre mère, de sa main même ;
2° Le nom de votre véritable père, en une note écrite par moi ; j’y ai mis quelques conseils touchant l’attitude que vous devez garder par devers lui, et j’ose espérer que vous tiendrez ces conseils pour bons et valables ;
3° Un paquet de sept lettres, toutes de la main de votre père, constituant la preuve irrécusable de votre filiation ;
4° Les actes vous constituant mon fils adoptif héritier légitime de mon nom, de mon titre, de ma seigneurie de Ponthus, et de tout ce que je possède ;
5° Un médaillon contenant le portrait de votre mère, exécuté en miniature six mois avant sa mort par le sieur Jehan Clouet, peintre.
Le tout a été mis dans une cassette de fer pour être garanti de l’humidité. Vous aurez à forcer cette cassette, car j’en ai jeté la clef dans la Seine. Voici comment vous trouverez cette cassette :
L’hôtel d’Arronces est situé à Paris, derrière le Temple, en bordure du chemin de la Corderie, sur lequel s’ouvre sa grille d’entrée, face au terrain des Enfants-Rouges. Vous entrerez par cette grille, irez droit à l’hôtel et en ferez le tour. Une petite porte bâtarde vous permettra d’entrer dans la chapelle. Quand vous serez là, placez-vous contre la première marche de l’autel, le dos exactement tourné au tabernacle, et marchez droit au fond de la chapelle en comptant les dalles.
C’est sous la dix-septième de ces dalles, ou, pour préciser, sous la dalle qui est exactement le centre de la chapelle, que se trouve la cassette…
Avec un levier, il vous sera facile de soulever cette dalle, puis vous creuserez environ de deux hauteurs de bêche, et vous trouverez la cassette.
Adieu, mon enfant, mon fils, mon bien-aimé fils. Ma suprême recommandation serait de vous répéter la parole sacrée Tes père et mère honoreras… Mais je la modifie, mon fils, et voici mon dernier vœu, voici le dernier cri de mon cœur au vôtre :
Mon fils, quand vous saurez tout. AIMEZ ET RESPECTEZ LA MÉMOIRE DE VOTRE MÈRE !…
Recevez ma bénédiction, et je signe
PHILIPPE, seigneur de Ponthus. »
Le soleil venait de se coucher. Il y avait plusieurs heures que Clother était enfermé dans la salle d’armes du castel de Ponthus. La nuit venait lorsque Agénor, le serviteur gardien du logis, se décida enfin à entrer dans la salle. Il vit Clother, les coudes sur la table, la tête dans les mains, les yeux fixés sur le papier, bien que, dans l’obscurité, l’écriture n’en fût pas lisible. Il s’approcha en faisant quelque bruit pour signaler sa présence, mais Clother ne l’entendit pas. Quelques minutes, le serviteur demeura debout près du jeune homme, et alors, il l’entendit qui murmurait :
– Ma mère !…
Ce mot, maintes fois, dans cette journée, il l’avait répété. Ah ! c’est qu’une ardente curiosité s’emparait de lui peu à peu. Cette mère inconnue, il voulait savoir qui elle avait été ; il voulait connaître ce nom et cette histoire que lui promettait la lettre, il voulait contempler ce portrait que Philippe de Ponthus avait pieusement enfermé dans la cassette de fer…
– Seigneur, se décida Agénor, il se fait tard, et déjà voici la nuit…
Clother l’entendit, redressa la tête, et se leva.
– Seigneur de Ponthus, continua Agénor, ne daignerez-vous pas faire honneur au repas que nous vous avons préparé ?
– Mais oui, mon bon Agénor, dit Clother avec une sorte de gaieté nerveuse, d’autant que j’ai grand appétit, n’ayant rien pris depuis ce matin.
Le serviteur eut un
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