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Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie

Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie

Titel: Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arnauld d'Abbadie
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avions sous les yeux se déformaient d'un moment à l'autre; on ne pouvait distinguer des files, et il n'y avait ni drapeau, ni guidon, ni fanion qui indiquât une unité numérique à prendre pour base. Cependant, vu l'étendue du terrain que nous occupions, et prenant pour mesure approximative l'espace occupé par cent hommes, j'estimai à 27,000 le nombre de nos combattants; ce qui, considérant les habitudes des armées indigènes, impliquait que l'armée entière comptait au moins 40,000 âmes.
    Après une marche d'environ trois quarts d'heure, nous fîmes halte près d'un magnifique warka . Lorsque les trompettes de notre arrière-garde nous annoncèrent son approche, les timbaliers battirent au pillage, et à cette batterie impatiemment attendue, les soldats s'élancèrent en poussant de grandes clameurs. Les masses se rompirent, se disséminèrent par bandes et disparurent derrière les plis du terrain; nous entendions encore leurs cris, que nos yeux ne les voyaient déjà plus. Le silence et la solitude où nous restâmes étaient saisissants; notre armée s'était dissipée comme par enchantement, laissant derrière elle le squelette d'un camp, les femmes, les plus jeunes pages, les hommes sans armes voués aux bas services, quelques chefs et le Dedjazmatch, qui se retira sous sa tente plantée à l'ombre du warka.
    Le warka, le plus bel arbre de l'Éthiopie, ne vient pas en pays deuga, et prospère surtout dans les plus bas kouallas, où il atteint des dimensions colossales. Partout où il se montre, il semble attirer les troupes de voyageurs et les caravanes, qu'il couvre d'une ombre épaisse et spacieuse.
    Bientôt des colonnes de fumée s'élevant au loin, nous annoncèrent que l'œuvre de destruction commençait.
    Je fis remarquer au Dedjazmatch que, dégarnis comme nous l'étions, trois cents cavaliers gallas, bien embusqués, pourraient nous enlever aisément, et que, bien que nombreux, nos soldats seraient impuissants à regagner le Gojam; j'ajoutai qu'en Europe, une imprudence pareille nous perdrait infailliblement. Le Prince sourit de mes craintes et m'expliqua la façon dont il conduisait la guerre.
    Les Gallas établis au sud de l'Abbaïe ne savent faire que la guerre d'escarmouches, leur morcellement en petites communautés hostiles les ayant accoutumés à des engagements, où souvent le nombre des combattants n'excède pas deux ou trois cents, et, dans aucun cas, ne dépasse cinq à six mille. Ils ignorent l'usage des armes à feu. Leur bouclier, rond comme celui des Gojamites, est plus convexe, un peu plus étroit et de meilleure qualité. Ils portent à la ceinture un coutelas légèrement courbe, à deux tranchants, dont la longueur varie entre 50 et 60 centimètres; leur arme principale est une tragule ou javelot, à fer large, d'une longueur qui varie entre 2 mètres et 2 mètres 30. Ils excellent à lancer cette arme, que quelques-uns de leurs cavaliers envoient jusqu'à 90 mètres de distance, dans les combats de cavalerie, une distance de 40 à 50 mètres étant considérée parmi eux comme une portée ordinaire. L'armement supérieur des Gojamites, et surtout la vue de leurs bandes, relativement si nombreuses, les portent toujours à fuir. Mais lorsque les envahisseurs se dispersent pour le pillage, et surtout lorsqu'ils commencent à rentrer avec leur butin, ils font un retour offensif, et les harcellent jusqu'au camp, profitant, pour les accabler parfois, de leur ignorance du terrain. La sécurité des Gojamites dépend de la fermeté et de l'intelligence du chef chargé de diriger l'arrière-garde, dont l'importance varie selon la configuration du pays et la réputation belliqueuse des habitants. Il est très-rare que ces Gallas attaquent un camp un peu considérable de jour, quelque dégarni de soldats qu'il puisse être. Le Dedjazmatch jugeait d'ailleurs que nous étions encore trop près de l'Abbaïe pour avoir à craindre une surprise de cette nature.
    L'invasion dont j'étais le témoin réveillait naturellement en moi le souvenir de ces hordes de barbares lancées jadis à la destruction des plus riches contrées de l'Europe, et me donnait une idée saisissante et sinistre de ces immenses tragédies, qui, heureusement, ne se voient plus chez nous, où chaque famille se sentait isolée en face d'une armée, dont elle surexcitait la férocité par sa faiblesse même.
    Bientôt quelques cavaliers arrivèrent à toute bride, en débitant leurs thèmes de guerre; ils rapportaient

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