1914 - Une guerre par accident
Avant-propos
Près d’un siècle après son déclenchement, tout a été dit
ou presque sur le déroulement comme sur les conséquences de la Grande
Guerre. En revanche, son origine recèle toujours une part d’opacité et reste
sujette à controverse.
Dans la réflexion sur les causes, le paradoxe central n’a
guère perdu de sa vigueur au fil du temps : comment un tel événement,
souvent pressenti et parfois même annoncé, a-t-il pu surprendre à ce point
acteurs et observateurs ? Par ailleurs, bien au-delà d’une histoire
classiquement écrite par les vainqueurs, la réflexion relative à la
responsabilité de ce cataclysme qui emporta l’ancien monde européen continue de
faire débat.
Au demeurant, ces deux réflexions apparaissent intimement
liées. Répondre à la première contribue, par bien des côtés, à éclairer la
seconde. À la différence de la deuxième guerre mondiale, qui survint au terme
d’un crescendo de tensions somme toute prévisible, la Grande Guerre se
déclencha d’une manière assez inopinée. Il y eut, certes, des affaires
marocaines de 1905 et 1911 aux guerres balkaniques, quelques crises
internationales annonciatrices. Il y eut pareillement des signes précurseurs,
des buttes témoins qui ne pouvaient qu’inquiéter, sinon alerter, responsables
et gouvernants avisés. Et pourtant, parmi ceux-ci, qui croyait vraiment au pire
deux semaines seulement avant le début de ce fatidique mois d’août 1914 ?
Est-ce à dire que les leaders et décideurs de l’époque
furent légers ou inconsistants ? L’accusation serait injuste et d’ailleurs
infondée. Comme de tout temps, il se trouva des gens frivoles dans les allées
du pouvoir ou des chefs qui n’étaient pas spécialement taillés pour affronter
des tempêtes d’une telle envergure. Ceux-ci furent notamment légion au sein du
« club des monarques », de George V à Nicolas II. Sans
parler d’un François-Joseph aussi vieillissant qu’amer ou d’un
Guillaume II décidément indéchiffrable et assoiffé de reconnaissance.
Le Gotha politique européen de 1914 compta sans aucun
doute des personnalités qui n’auraient jamais dû se trouver en mesure de gérer
des situations à ce point complexes : de Viviani en France à Berchtold en
Autriche-Hongrie, et sans doute aussi Bethmann-Hollweg en Allemagne, en passant
par la plupart des ministres du gouvernement russe. Mais à l’inverse, il y eut
des dirigeants de qualité. Parmi ces derniers, qu’on les ait plus tard loués ou
dénigrés, des hommes d’État du calibre de Raymond Poincaré, d’Edward Grey ou de
Winston Churchill voire de Serguei Sazonov. Le personnel diplomatique comporta
des ambassadeurs en poste tout à fait remarquables, des frères Paul et Jules
Cambon aux Britanniques Edward Goschen et Francis Bertie en passant par
l’Allemand Lichnowsky, le Russe Iswolsky et bien d’autres encore. Des hauts
fonctionnaires comme Pierre de Margerie, Philippe Berthelot ou encore Arthur
Nicolson eurent de la même façon une action empreinte d’efficacité et de
classe.
Les décideurs politiques de 1914 furent ainsi globalement à
la hauteur. Ils ne furent ni meilleurs ni pires que leurs devanciers ou que
leurs successeurs. L’équité s’impose d’autant plus à cet égard qu’on oublie
parfois que tous eurent à réfléchir et à agir dans l’urgence : non
seulement compte tenu de délais de réactivité très courts dans la prise de
décision mais aussi de la tension extrême due à la conjugaison des périls et
des enjeux.
Le contexte de crise est comparable à une partie de blitz au jeu d’échecs. Il ne suffit pas de savoir les règles et d’avoir une
connaissance approfondie des combinaisons et des stratégies. Encore faut-il
faire preuve par surcroît de qualités nerveuses et psychologiques
particulières. La crise a ceci de singulier qu’elle révèle immanquablement les
caractères trempés de même qu’à l’inverse, les esprits faibles. En politique
internationale, c’est sans conteste l’épreuve de vérité.
Les trente-sept jours (28 juin-3 août 1914)
de cette crise qui finit en conflit armé, notamment les douze derniers jours,
furent d’une intensité émotionnelle peu ordinaire. Seuls les treize jours de la
crise des missiles de Cuba, en octobre 1962 entre les États-Unis et
l’Union soviétique, peuvent s’en rapprocher. Comme on le sait, l’issue de cette
seconde crise majeure du XX e siècle fut,
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