Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie
annonça la picorée par un ban; nos gens déposèrent sur le champ leurs bagages selon la configuration habituelle de nos campements, et ils disparurent dans la direction indiquée, protégés par quatre cents fusiliers et plusieurs escadrons de cavalerie.
Réduits presque exclusivement aux notables, aux femmes et aux hommes de peine, nous ne songeâmes plus qu'à nous installer. Nous nous trouvions dans une petite plaine ondulée, herbeuse, et inégalement partagée par un ruisseau, lequel, de même que les environs, prend son nom du petit village de Konzoula. Ce ruisseau, large de quatre mètres à peu près, et profondément encaissé dans les berges fangeuses et accores, formait pour notre camp une défense naturelle dans la direction de l'ennemi; circonstance qui avait décidé Birro à choisir ce campement. Mais on s'aperçut bientôt que le sol détrempé ne pouvait retenir les piquets de nos tentes; Monseigneur fit mander Birro et Ymer Sahalou, et décida avec eux de transporter le camp au-delà du ruisseau, et à l'extrémité de la plaine, où les ondulations du terrain nous promettaient un sol plus tenace; d'ailleurs, le passage du ruisseau, pouvait être une cause de désordre sérieux pour nos multitudes, si elles avaient à l'effectuer le lendemain, ayant l'ennemi en vue. On donna des ordres en conséquence, et Monseigneur partit avec une quarantaine de cavaliers pour choisir le nouveau campement.
Le passage du ruisseau, où nos bêtes enfonçaient jusqu'à la ventrière, nous ayant retardés pendant plusieurs minutes, nous reprenions à peine notre chemin, quand nous vîmes une ligne d'environ soixante cavaliers se détacher d'un petit bois à notre gauche et avancer rapidement sur nous. C'étaient des éclaireurs ennemis.
Nous n'étions plus à temps pour repasser le ruisseau. Un monticule sur notre droite nous offrait une bonne position pour attendre du renfort de notre camp, qui n'était éloigné tout au plus que de 800 mètres: mais l'ennemi se dirigea de façon à nous en interdire l'accès. Huit des nôtres se dévouèrent pour l'arrêter au moins quelques instants; il détacha contre eux une quinzaine d'hommes et continua à toute bride dans la direction du Prince. Nos huit cavaliers étaient à peine engagés, que tous nos adversaires tournèrent bride et prirent la fuite. L'apparition subite de plus de deux cents de nos cavaliers venait de les surprendre autant que nous: c'était le vigilant Ymer Sahalou qui, ayant vu l'ennemi, arrivait à point pour nous dégager. Nos adversaires, excités par la vue du gonfanon du Dedjazmatch, étaient tellement préoccupés de la riche proie que nous leur offrions, qu'ils ne s'aperçurent de l'approche d'Ymer que juste à temps pour lui échapper à grand'peine et disparaître sous bois. Encore un peu ils eussent enlevé le Dedjazmatch; car plus de la moitié de son escorte était composée de chefs âgés, déshabitués des coups main depuis leur accession à des postes élevés. Nos huit cavaliers, dont le dévouement contribua pour une bonne part à nous éviter cette disgrâce, n'eurent que deux chevaux blessés.
En accourant à notre secours. Ymer avait expédié des cavaliers pour avertir nos picoreurs de l'approche de l'armée ennemie. Il avait également fait prendre une tente: quatre cavaliers la portaient par les quatre coins. À tout événement, elle fut dressée immédiatement comme point de ralliement. Nos gens du camp nous rejoignirent pêle-mêle, et nous ne tardâmes pas à voir un gros corps d'infanterie sur le couronnement d'un petit deuga en face de nous: c'était la tête de l'armée ennemie. La bataille allait être inévitable.
Heureusement le cri d'alarme des messagers d'Ymer, répété d'éminence en éminence, avertissait nos picoreurs; ils accouraient déjà, formant sur nos derrières de longues files ondulantes qui, d'instants en instants, augmentaient notre nombre. On commença à former les rangs à environ 200 mètres en avant de la tente du Prince; derrière régna une confusion inexprimable. Quant à moi, après avoir dit à mes cinq rondeliers, mes seuls vassaux, de prendre rang où ils voudraient, je me tins près de Monseigneur, sans autre soin que celui d'apaiser mon cheval qui bondissait, chauvissait des oreilles et aspirait le tumulte de tous ses nasaux.
On allait, on venait, on courait, on s'appelait; les cris, les adieux, les lazzis, les invectives, les chants et thèmes de guerre s'entrecroisaient de toutes
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