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Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie

Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie

Titel: Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arnauld d'Abbadie
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ou foulait quelque convive. Cet énergumène eut bientôt monté les esprits à son diapason: d'autres se présentèrent successivement, les uns seuls, d'autres à la tête de petites troupes ou accompagnés de fusiliers qui appuyaient de décharges les discours de leurs maîtres.
    Trois ou quatre heures se passèrent à suivre ces représentations militaires, auxquelles les Éthiopiens se plaisent particulièrement la veille d'une bataille. Les uns profitaient de la circonstance pour réclamer contre les oublis ou les partialités dont ils se disaient victimes; d'autres s'engageaient à une action d'éclat pour mériter quelque faveur demandée depuis longtemps; des rivaux convenaient publiquement de régler leur différend de telle ou telle manière, selon que l'un ou l'autre se distinguerait le plus durant la bataille: duel utile au moins à la communauté, puisqu'il se décide au détriment de l'ennemi, et rappelle les duels analogues entre légionnaires romains.
    Le Prince fit dire à un vieux fusilier de sa garde, qui avait jadis tué un lion, d'aller figurer à son tour dans l'arène, et l'apparition de ce soldat indiqua la clôture de la fête: car lorsqu'un homme qui a tué un lion vient débiter son thème de guerre, ou ne peut se présenter après lui, à moins d'avoir accompli plus de faits d'armes et tué également un lion. Pendant que le vétéran achevait, on fit évacuer les tentes, et le Prince, fatigué de toute cette représentation, se retira dans sa hutte.
    De son côté, Birro Guoscho avait présidé un repas analogue pour ses gens, et jusqu'à dix ou onze heures du soir, des décharges se firent entendre par ci par là dans le camp; c'étaient des chefs qui, après avoir assisté au festin du Dedjazmatch, faisaient banqueter aussi leurs propres soldats.
    Nous nous remîmes en marche le lendemain. Le Prince envoyait message sur message au Lidj Ilma et à son frère Mokouannen, pour les engager, s'ils ne se décidaient pas à licencier leur armée et à prendre refuge auprès de lui, à la conduire du moins dans les Kouallas de leur province du Kouara. Il obéissait, disait-il, à des exigences politiques, momentanées sans doute, et il les suppliait de lui éviter, n'importe par quel moyen, la nécessité de les combattre. Mais les jeunes princes, enivrés par la confiance de leurs troupes dans la victoire, ne répondaient que par des défis. J'étais présent lorsqu'il leur expédia le message suivant:
    «Qu'avez-vous donc fait des vieux conseillers de votre père, que vous m'adressiez ainsi des paroles provocantes, à moi, votre meilleur protecteur? Sachez que le temps modifie les affaires et les relations des hommes, au point que parfois quelques jours suffisent pour faire d'un ennemi un ami ou un allié utile. Sachez aussi qu'on n'oublie pas les blessures faites par la langue, et mettez de la modération à user de votre fortune.»
    Les fusiliers du Prince et ceux des seigneurs se réunirent au nombre d'environ dix-sept cents, dans un lieu écarté; leur Bacha ou chef fit tourner trois fois autour d'eux trois taureaux qu'il égorgea ensuite; les fusiliers, ayant trempé la gueule de leur carabine dans le sang, mangèrent les viandes sur place et brûlèrent les issues et les os. Après ce sacrifice de propitiation, dernier reflet du judaïsme, ils revinrent au camp en tiraillant; ce qui parut réconforter nos soldats parmi lesquels, depuis quelques jours, circulaient des rumeurs propres à ébranler leur confiance dans nos forces.
    Nos espions nous apprirent que le Lidj Ilma était encore à une bonne journée de marche, qu'il faisait reposer son armée et comptait nous offrir la bataille le surlendemain, samedi; c'était le même jour que nos chefs, réunis en conseil de guerre, avaient choisi. Les croyances superstitieuses déterminent ordinairement le choix d'un jour de bataille; tel Dedjazmatch a son jour de prédilection; tel autre suit les conseils d'un devin, habituellement un clerc, ou obéit à un songe ou à quelqu'autre présage. Comme nous étions à court de vivres, on décida de porter le camp à quelques milles plus loin, près d'un village nommé Konzoula: nous y serions à portée d'un fertile district qui s'étendait sur notre droite jusqu'au lac Tsana; nos soldats s'y ravitailleraient sans fatigue et seraient plus dispos pour la bataille.
    Nous arrivâmes à Konzoula le vendredi 24 du mois de Meuskeurreum, qui, cette année là, correspondait au 4 octobre. Un timbalier

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