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Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie

Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie

Titel: Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arnauld d'Abbadie
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parts. Les derniers venus cherchaient à qui confier leur toge; des femmes s'agitaient en tous sens. Ici, la concubine de quelque seigneur, assise sur un culbutis de bagages, oubliait de voiler son joli visage contracté d'effroi.
    «Ne crains rien, lui disait un soldat en passant, tu es trop belle pour avoir choisi un imprudent.»
    Une autre, se frappant la poitrine et pleurant, invoquait à haute voix saint Georges et Notre-Dame de Bon-Secours.
    Une autre, le regard fixé sur quelque bande, s'écriait: «Mon bon maître, mon orgueil, que Dieu vous garde en ce jour; toi, Notre-Dame, protége mon corps en lui!»
    Des groupes de servantes, les poings sur les hanches, regardaient de tous leurs yeux, défendaient contre les voleurs leurs ustensiles et paquets; quelques-unes, gourdes en mains, offraient à boire aux passants; d'autres, court vêtues, la toge enroulée en ceinture, allaient se porter résolument derrière les hommes en ligne, prêtes à désaltérer et à secourir les blessés. Des amis s'entredisaient à distance: «Bonne journée et au revoir!»
    Quelques prêtres, une petite croix de bois à la main, allaient çà et là en marmottant des oraisons; des cavaliers s'arrêtaient, et, sans quitter la selle, courbaient la tête, en disant:
    «Père, absolvez-moi!»
    Une grosse servante demanda aussi l'absolution, et, voyant qu'on la donnait de préférence aux hommes, elle empoigna le prêtre par la toge et lui cria sous le nez:
    «Mon père, gare à vous, je vous laisse tous mes péchés sur le dos; je vais au combat, moi!»
    Plus loin, une bande de six ou sept cents rondeliers rejoignaient au pas de course; ils posaient à terre boucliers et javelines, resserraient leurs ceintures et ceinturons, et, alestis pour le combat, repartaient pleins d'entrain, pour grossir le front de bataille, ayant en tête un coryphée chantant un refrain guerrier.
    Un gros homme à pied s'en allait, effaré, demandant où était son cheval.
    «Mais tu es dessus, bonhomme, lui répondait-on en riant: va, va, tu l'as bridé par la queue.»
    Les goujats entassaient en monceaux les toges des combattants. Les pages étaient partout, criaillant, observant la contenance de chacun, et tâchant de surprendre quelque cheval ou quelque mule de selle, pour l'enfourcher et se porter, pendant le combat, partout où il se présenterait quelque bon coup à faire. Quelques-uns de ces enfants, la toge enroulée autour du bras gauche en guise de bouclier, et une petite javeline à la main, nus et grelottant, allaient se poster à l'arrière-ligne, rappelant ainsi les habitudes des enfants de la Grèce ancienne.
    Certains rondeliers, d'une intrépidité reconnue, se rendaient à leur poste, en se carrant et en brandissant leur javeline; d'autres s'en allaient, chacun roulant un air guerrier qu'il interrompait pour s'écrier:
    « Hammarr zorroff! Ô moi, fils de gentille mère! Voici enfin l'heure des vrais lurons, ma seigneurie, à moi, porte haillons!»
    Ou bien:
    «Zorroff! Ne suis-je pas l'épervier des batailles? venez, venez, mes vautours, vous n'attendrez pas, je vais vous faire de la nourriture.»
    Ils ne reconnaissaient personne, ils n'entendaient plus, ils savouraient déjà l'ivresse de la bataille. On frissonnait de plaisir en les voyant, comme aussi lorsque passaient les Tacho-Negoussé, les Chalaka Beutto, et Gouangoul-Abrouïé, Gouomté-Kassa, Hallé-Aleltou, Beutoul-Andawa, Haïlou-Mariam, Chalaka Guebré-Mikaël, Birro Guébia, Andawa-Libo, Tacho-Méniwabe, Gouxa Faradé et le sanguinaire Gouolemdatch, tous cavaliers célèbres, redoutés au loin; les uns muets, livides et sinistres sur leur selle; les autres ricanant et mâchonnant leur thème de guerre. Tous avaient le brassard d'honneur au poignet droit; quelques-uns portaient une pèlerine de guerre faite en crinière de lion; d'autres s'en allaient les épaules et la poitrine nues. Les chevaux dénotaient la résolution des maîtres. Les poétesses proclamaient ces rudes hommes, les interpellaient et accolaient à leur épithète de tendresse familière:
    «Ô ma prunelle, disait l'une, je veux mourir d'amour pour toi; ma verve s'épuisait, mes chants finissaient; oui, gentil fils de ma mère, ravives-en les sources.»
    Ou bien, s'adressant à son cheval:
    «Va, va, mon aigle; que Dieu te renforce les ailes!»
    Une autre criait:
    «Enfants de la javeline, attention! je suis ici pour démêler les braves et compter les coups!»
    Ou bien, frappant vigoureusement sur l'épaule

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