Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie
que leur petite culotte et leur cordon de chrétienté; pour se garantir du soleil et des mouches, plusieurs se couvraient de feuillages. Comme d'ordinaire, beaucoup s'enrôlèrent chez nous; d'autres restèrent chez des parents ou des amis qu'ils avaient dans notre camp, en attendant un jour plus propice pour regagner leurs quartiers; car lorsque deux armées ennemies se rapprochent, les paysans se réunissent en armes pour garder les passages, et ils se vengent cruellement quelquefois des exactions qu'ils ont subies la veille. Les Éthiopiens sont d'ailleurs très-curieux, et les paysans les plus inoffensifs guetteront également les fuyards, souvent même les hébergeront, pour le seul plaisir d'entendre le récit de la bataille.
Dans les annales éthiopiennes, Konzoula figure parmi les batailles peu meurtrières: on évalua nos pertes à environ 200 hommes tués; on disait que l'ennemi avait dû laisser 500 hommes sur le champ de bataille, mais on pensait que nos cavaliers avaient tué un nombre égal de fuyards.
Après souper, vers neuf ou dix heures du soir, le Prince se fit amener les deux fils de Conefo. Il les laissa debout et leur dit:
—C'est vous, mes enfants, qui vous êtes fait cette triste situation, et qui de plus m'avez réduit à en être l'instrument. N'attribuez donc pas à ma rigueur le sort que vous subissez. La politique du Ras, l'attitude passive du Dedjadj Oubié, uni d'intérêt pourtant avec votre maison, m'ont forcé de recueillir l'héritage de votre père, que vous étiez insuffisants à défendre. J'ai cherché à vous faire comprendre les exigences de nos positions et le meilleur moyen de les concilier; mais vous avez préféré, à ma sollicitude paternelle pour vous, les instigations ambitieuses de vos coupables conseillers. Les mêmes raisons qui m'ont contraint à me porter contre vous m'obligent à m'assurer de vos personnes jusqu'au jour, prochain sans doute, où vous reprendrez une position digne de votre naissance. Si le Ras refuse de vous pourvoir, vous grandirez dans ma maison, avec Tessemma, car vous êtes comme des fils pour moi aux yeux de toute l'Éthiopie. Le jour où je me suis décidé à accepter pour Birro le gouvernement du Dambya, j'ai dû prévoir ce moment pénible, et si je rappelle vos fautes, c'est pour vous dire que je vous pardonne, et que nul plus que moi ne s'efforcera de rétablir votre fortune. Avant d'avoir atteint âge d'homme, vous en subissez les rigueurs, mais mon affection pour vous saura les adoucir; montrez néanmoins, par votre contenance, que vous êtes les dignes fils de Conefo, et vos fers seront légers à porter.
Sur un signe du Prince, on fit entrer un forgeron. Les chaînes qu'il tenait sous sa toge grincèrent; les deux frères s'entre-aidèrent du regard et baissèrent la tête, le Lidj Mokouannen l'œil sec, et le Lidj Ilma, tout gonflé de larmes. On les fit asseoir par terre, et on leur fixa à chacun une chaîne au poignet droit. Les assistants étaient touchés de compassion, et, l'opération terminée, ils dirent l'un après l'autre aux captifs: «Seigneurs, que Dieu délie vos chaînes!» formule habituellement usitée en abordant ou en quittant un homme enchaîné. Deux notables chargés de la garde des deux frères, les emmenèrent, et le Prince et ses familiers prolongèrent la veillée, mais sans reprendre leur gaîté habituelle.
En Éthiopie, la détention permanente n'est appliquée qu'aux crimes ou délits politiques; dans presque tous les autres cas, elle n'est que préventive. Comme l'obligation d'arrêter un criminel incombe à tout citoyen; que le droit de juger au civil peut être attribué à presque tous; que l'homme de guerre, investi de préférence de ce droit, est sujet à des déplacements fréquents; de plus, comme les bâtiments sont trop peu solides pour résister à la moindre tentative d'évasion, on a pourvu à cet état de choses par l'usage d'emmenoter le prisonnier et de le garder à vue ou de le lier à un gardien, la relégation proprement dite n'existe pas. Une chaîne longue de deux coudées environ, terminée à chaque extrémité par un fort anneau, est fixée par un bout au poignet droit du prisonnier et par l'autre au poignet gauche de son gardien. Cette espèce de prison vivante et ambulante a l'avantage de soustraire le prisonnier, s'il est coupable, à un isolement dépravant; et s'il est innocent, elle le soumet à une position fâcheuse, il est vrai, mais qui ne porte à sa dignité
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