Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie
qu'une atteinte légère. Le captif volontaire vivant à côté d'un coupable, l'empêche de se confirmer dans sa perversité, et contribue à faire germer en lui le repentir ou le remords. Le prévenu éprouve d'ailleurs une difficulté plus grande à dissimuler sa faute, et quelle que soit son irritation contre un homme ou contre la société, elle tend à s'adoucir par le contact avec ses concitoyens. Un homme enchaîné attire l'attention de tous; chacun s'informe de la cause de son arrestation, on s'approche de lui, on le questionne en tout sens; avant de figurer devant la justice, il subit ainsi comme une instruction permanente dont il lui est bien difficile d'éluder la clairvoyance; car comme toute maladie violente, le mensonge a ses trèves et ne saurait empêcher complètement la vérité de transparaître. Ceux qui le fréquentent apprennent l'indulgence et la pitié pour celui qui a failli et comment la plus légère déviation du bien peut conduire insensiblement aux plus grands écarts. On voit souvent un coupable pleurer en écoutant ses consolateurs, et ceux-ci se retirer en disant: «Ô évolutions de la conduite humaine! Que Dieu nous épargne l'épreuve des positions difficiles!» Les détenus politiques qu'un Dedjazmatch a l'intention de recevoir à résipiscence sont gardés à tour de rôle par les chefs de confiance, à la table desquels ils sont presque toujours admis. Souvent il arrive que ces gardiens obtiennent la libération du prisonnier en se portant caution pour lui. Quant à ceux dont la captivité doit être prolongée indéfiniment, ils sont relégués dans un montfort ou autre lieu fortifié par la nature, où il est rare qu'on leur refuse de faire venir auprès d'eux leur femme, leurs enfants en bas âge et quelques serviteurs; en ce cas, ils demandent ordinairement à ce qu'on remplace leur compagnon de chaîne par des fers aux pieds. Il n'est pas rare que les prisonniers s'échappent des mains des seigneurs et même des montforts les mieux gardés. Il semble que, même du temps des empereurs, il n'ait jamais existé de prison proprement dite, autre que les montforts; de même que dans l'antiquité, quoique les grandes maisons aient encore leur ergastule ou cachot pour les esclaves et pour les enfants.
Le Prince se fit remettre les armes et le cheval du Lidj Ilma, et il promit au capteur une investiture en Damote. Les timbales de Conefo, placées à l'aile gauche ennemie, avaient été prises par le Dedjadj Birro, car depuis son investiture du Dambya, on lui donnait ce titre; son père les lui demanda pour le Dedjadj Baria, de l'Agaw-Médir, auquel il les avait promises. Birro refusa.
—Si Monseigneur les voulait pour lui-même, ce serait de grand cœur, dit-il; mais il ferait beau voir que ce Baria ou quiconque osât les faire battre devant soi; je les tiens de Dieu et de mon Dempto, et par la mort de Guoscho, par Notre-Dame! nous ne les céderons à personne.
Le Prince laissa sans réponse cet orgueilleux message; mais il ressentit vivement cette première désobéissance publique de son fils. Quant au Dedjadj Baria, il crut prudent de ne plus passer la nuit dans sa tente; il vint coucher dans une hutte de soldat près la tente de Monseigneur, qui le lendemain obtint que Birro lui permît de retourner en Agaw-Médir.
Deux ou trois jours après, dans un quartier peu fréquenté du camp, j'entendis, en passant, les gémissements d'un homme qu'on torturait; je m'arrêtai, et le patient me cria d'intervenir en sa faveur. C'était un nommé Meragdou-Haylou, trafiquant établi dans la ville d'asile de Kouarata en Fouogara, et par occasion soldat ou chasseur d'éléphant.
Quelques mois auparavant, le Prince ayant appris que Haylou avait deux belles carabines à vendre, lui avait expédié un homme pour les lui acheter. Soit crainte d'indisposer le Ras Ali, dont il était le sujet, soit toute autre raison, Haylou avait refusé de vendre au Dedjadj Guoscho, et qui pis est, il avait refusé le vivre et le couvert au messager et l'avait renvoyé avec des paroles insultantes pour son maître. Peu après, le Dedjadj Conefo mourut; Haylou fit hommage des carabines au Lidj Ilma, qui, pour s'acquitter envers lui, l'engagea à l'accompagner dans sa campagne contre nous, et lui promit que, sitôt notre défaite, comme il comptait aller réduire l'Agaw-Médir, pays riche en ivoire, il l'emmènerait avec lui et l'enrichirait. Alléché par cette perspective, Haylou s'était équipé en
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