Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie
toi comme avec Conefo, et que tu apprécierais notre résistance. Nous voici prêts à être asservis par ton pardon. Que ta javeline soit toujours victorieuse, et que Dieu t'inspire notre arrêt!
—Créature du jeudi! (c'est du jeudi que date la création des animaux, dans la Genèse) s'écria Birro. Puisqu'ils ont eu recours aux armes, ils en subiront la loi. Ils ont tué mon parent, tout meurtrier doit son sang; je leur laisse la vie, mais qu'on leur coupe à chacun le pied et la main!
La tente fut refermée. Celui qui avait pris la parole s'offrit le premier au rasoir du bourreau, avec ce stoïcisme si commun parmi les Éthiopiens.
Seize malheureux subirent la mutilation, pendant qu'au milieu de ses familiers consternés, Birro cherchait, par des discours animés, à donner le change à son émotion. Je pus enfin l'interrompre et l'engager à gracier le reste des condamnés. Malheureusement pour eux, les assistants, malgré Tiksa-Méred qui leur faisait signe de s'abstenir, appuyèrent mes instances, et, à cette apparence de pression, Birro éclata:
—On ne les a donc pas tous ébranchés? s'écria-t-il. Qu'on mande mes bûcherons pour abattre ceux qui restent à coup de hache! Je ne pourrai donc pas venger le sang de mon parent et celui de mes soldats?
Deux infortunés furent tués à coup de hache. On vint lui dire que tout était fini, et il sembla respirer plus à l'aise. Des soldats compatissants avaient fait évader une dizaine des condamnés. Birro l'apprit quelques jours après et dit:
«Tant mieux! mais c'était mon devoir de faire un grand exemple.»
À partir de ces exécutions, ses soldats, même isolés, purent circuler avec sécurité dans toute la province.
Cependant, un prétendant nommé Woldé Teklé augmentait le nombre de ses troupes, et Birro s'en préoccupait. Sur le rapport de nos espions, nous partîmes de nuit avec près de 2,000 hommes pour le surprendre. Après environ quatre heures de marche, nous arrivâmes près de l'endroit désigné une soixantaine de cavaliers seulement et une quinzaine de fantassins, les meilleurs coureurs. Nous eûmes à peine mis pied à terre pour attendre nos gens, que, dans une plaine boisée qui s'étendait à nos pieds, nous crûmes apercevoir environ 800 fantassins précédés par des éclaireurs et marchant droit sur nous en soulevant la poussière. Birro se remit en selle, poussa vers l'ennemi, mais la rapidité de Dempto lui donna bientôt une avance telle, qu'il crut prudent d'attendre ses cavaliers. L'un d'eux, doué d'une meilleure vue que les autres, nous cria:
—Tout doux! frères; nous avons bien le temps; laissons souffler nos chevaux; les vaches doivent être à sec à cette heure, et ne redonnent de lait que dans la soirée.
Une folle hilarité s'empara de nous: le nuage de poussière n'était soulevé que par un beau troupeau de bestiaux. Pour compléter notre désappointement, les vachers, nous apprirent que Woldé Teklé avait décampé depuis longtemps.
Malgré ses qualités militaires incontestées, ce chef ne pouvait rien mener à effet; brave, généreux, affable et instruit, il excitait partout des sympathies, mais sans profit pour sa cause. Élevé à la cour de son parent, le célèbre Dedjadj Maro, gouverneur du Dambya, de l'Agaw-Médir, du Metcha, du Kouara et de l'Armatcho, il devait naturellement hériter de sa puissance. Conefo, fils de sa propre sœur, qu'il avait dotée et mariée à un de ses vassaux, le supplanta par surprise. Woldé Teklé se maintint quelque temps en rébellion, mais après plusieurs combats malheureux, il tomba entre les mains de son neveu Conefo, qui, après l'avoir tenu captif plusieurs années, le lia à lui par serment, le remit en liberté et lui donna un fief important. À la mort de son frère, le Dedjadj Gabrou, Conefo sentit se réveiller des doutes sur la fidélité de son oncle; les devins lui prédisaient à lui-même une fin prochaine; son intrépide frère ne serait plus là pour protéger ses deux fils, Ilma et Mokouannen, contre l'ambition légitime de leur grand-oncle; enfin, sa maladie s'aggravant, sans provocation de la part de Woldé Teklé, il ordonna qu'on lui crevât les yeux. Soit maladresse, soit connivence du bourreau, cette terrible exécution fut mal faite: Conefo mourut quelques jours après, et Woldé Teklé guérit; ses paupières seules restèrent mutilées. Il se rebella contre ses petits-neveux; mais avant la bataille de Konzoula, il se joignit à eux,
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